Septembre 2008 /176
Septembre 2008 /176

3 questions à François Gemenne

Les réfugiés environnementaux


François Gemenne est aspirant FNRS au Centre d’étude de l’ethnicité et des migrations.

GemenneParmi les nombreuses conséquences du réchauffement de notre planète, les inondations auront la part belle. Dans plusieurs régions du globe, la montée des eaux aura des répercussions catastrophiques puisqu’elle obligera les habitants à trouver refuge sur d’autres territoires. Quelles sont les politiques mises en place pour faire face à ce nouveau flux migratoire ? Doit-on dès à présent estimer que le changement de l’environnement deviendra un facteur de migration ? C’est notamment à ces deux questions que François Gemenne consacre une thèse de doctorat.

Depuis quatre ans, ce jeune chercheur observe les politiques mises en place lors des mouvements migratoires liés à la dégradation de l’environnement. Tour à tour dans les bibliothèques universitaires et sur le terrain, il rencontre les autorités locales, recueille les confidences des sinistrés, compulse les archives, consulte les vidéos et tente de voir comment, aujourd’hui, les autorités locales font face à une situation inédite : celle des “réfugiés climatiques”. Ses pas l’ont conduit jusqu’aux îles Tuvalu, archipel polynésien de l’océan Pacifique, et à La Nouvelle-Orléans, grande ville des Etats-Unis ravagée en 2005 par un ouragan. Deux situations très différentes et exemplaires à la fois.

L’ouragan Katrina qui a frappé la côte du golfe du Mexique le 29 août 2005 fit près de 2000 victimes et des dégâts évalués à 85 milliards de dollars au moins. La cause du désastre tient à la violence exceptionnelle de l’ouragan et à l’immense onde de tempête haute de 9m qui l’a accompagnée, mais la situation géographique de la ville – sous le niveau de la mer, coincée entre le Mississippi et le lac Pontchartrain – ainsi que l’insuffisance des digues de protection ont également joué un rôle déterminant dans l’ampleur du sinistre. Plus d’un million de personnes avaient quitté la ville sur les conseils des autorités, mais 60 000 individus, incapables d’évacuer, ont subi de plein fouet les effets dévastateurs de la tempête.

La situation est très différente aux îles Tuvalu. Ce petit archipel corallien de neuf îles dans l’océan Pacifique Sud, au nord de Fidji, se caractérise par sa très petite taille (26 km2), et sa très faible élévation (4 m seulement au-dessus du niveau de la mer en son point culminant). Conformément aux prévisions du Giec, le niveau de l’océan monte, multipliant les inondations et grignotant petit à petit les plages de l’archipel. Ce constat engendre légitimement une grande inquiétude au sein de la population et nombre de jeunes ont décidé de s’expatrier en Nouvelle-Zélande.

Le 15e jour du mois : Que dire à propos des victimes ?

François Gemenne : C’est principalement la population la plus défavorisée qui a souffert. A La Nouvelle-Orléans, si certains ont pris leur voiture pour se rendre chez des amis ou des parents à Houston et à Baton Rouge, ceux qui sont restés dans la ville appartenaient, pour l’essentiel, aux couches sociales les plus défavorisées : Noirs, à faibles revenus, peu éduqués, habitant dans des quartiers très vulnérables à l’inondation. A Tuvalu, on assiste au même phénomène : la population la plus pauvre ne peut s’offrir un billet pour Auckland… Il faut noter aussi que, parmi les gens qui ont quitté leur domicile suite à une “catastrophe naturelle” comme Katrina, personne ne prévoit d’émigrer. Les gens ont emporté des vêtements pour un long week-end, sans imaginer de rester plusieurs semaines loin de La Nouvelle-Orléans, encore moins de ne jamais y revenir.

Le 15e jour : Comment ont réagi les autorités ?

Fr.G. : Il faut d’abord souligner une différence essentielle : alors que les migrations sont fréquentes dans la région du Pacifique Sud, elles sont beaucoup plus rares en Louisiane. Cette différence dans la culture migratoire affecte évidemment la perception de la migration liée à des facteurs environnementaux. Néanmoins, dans les deux cas, si les politiques d’aide humanitaire urgente ou d’évacuation existent, plus rares sont les mécanismes de protection ou de “répartition” des personnes déplacées à cause des changements de leur environnement. Même si la possibilité a déjà été évoquée au cours de son histoire, l’actuel gouvernement tuvaléen refuse de programmer une évacuation massive de l’île et préfère mettre en place une politique d’encouragement à l’émigration sans définir vraiment un plan global à long terme. En Louisiane, il est manifeste qu’aucun plan d’aide ou de protection à long terme n’avait été envisagé pour répondre aux besoins des migrants ou faciliter leur retour : à l’inertie des autorités et à l’absence de secours dans les jours qui ont immédiatement suivi la catastrophe a succédé la défaillance des mécanismes d’aide et de protection sur le long terme... A mon avis, cette absence de réaction efficace s’explique par le fait que les déplacements liés aux catastrophes naturelles restent très largement considérés comme des évacuations temporaires, nécessitant dès lors une aide d’urgence mais pas comme une migration sur le long terme qui demanderait d’autres processus d’assistance.

Le 15e jour : Quelles conclusions tirer à ce stade ?

Fr.G. : Selon les observations récoltées par le Giec, les effets du changement climatique prendront des formes diverses selon l’endroit où ils se produiront. Je pense que les mouvements migratoires qui en résulteront prendront également des formes multiples qui appelleront des réponses locales ou régionales. Dans ce contexte – alors que la tendance générale des Etats est plutôt de restreindre l’immigration –, favoriser la migration devient un enjeu majeur d’autant qu’elle peut jouer un rôle de stratégie d’adaptation.

Par ailleurs, il importe certainement de réaliser que les dégradations de l’environnement ne donneront pas seulement lieu à des déplacements temporaires, mais également à des migrations définitives. C’est sans nul doute une caractéristique majeure de ce type de mouvement : les perspectives de retour sont nettement plus limitées, même dans le cas d’événements subits et localisés, comme le montre l’exemple de l’ouragan Katrina. Cette impossibilité du retour devra amener une réflexion sur les mécanismes d’adaptation à mettre en place dans les régions d’accueil, ainsi que sur les mécanismes de responsabilité environnementale et de compensations qu’il conviendrait de développer.

Propos recueillis par Patricia Janssens
Consulter le site du Monde pour d’autres développements.
Facebook Twitter