Octobre 2008 /177
Les hiéroglyphes sur écranRamsès, un logiciel cousu main pour égyptologuesL’Egypte antique – celle des pharaons – a toujours fasciné le grand public. La médiatisation des fouilles archéologiques et les succès de librairie, notamment, en attestent. Mais on sait trop peu que les hiéroglyphes sont aussi l’objet de recherches scientifiques de (très) haut niveau. Le service d’égyptologie de l’université de Liège a acquis, dans le domaine de la linguistique, une réputation d’excellence sur le plan international.
Chantier pharaoniqueDepuis Champollion, les philologues ont fait de notables progrès dans la compréhension des textes conservés en néo-égyptien (XVIIIe - XXVe dynasties, soit entre 1500-700 ACN), dont la période de gloire fut le Nouvel Empire. « Mais, en dépit de l’excellence des travaux poursuivis en Europe et aux États-Unis, les recherches menées en linguistique égyptienne souffrent aujourd’hui d’un handicap essentiellement technique, explique le Pr Jean Winand, égyptologue et président du département des sciences de l’Antiquité. En résumé, nous manquons d’un corpus exhaustif de textes analysés. » Or, les sources écrites laissées par les pharaons sont extrêmement nombreuses : l’ensemble des textes en néo-égyptien compte plus d’un million de mots !* Sans doute est-ce en partie à cause des systèmes graphiques complexes de la langue, mais force est de constater que l’égyptologie marque un certain retard par rapport à ce qui se fait dans l’étude des langues classiques. Dictionnaires et grammaires ne suffisent plus aux linguistes qui ne peuvent opérer des recherches “croisées”. Comment repérer facilement toutes les phrases qui comportent une expression composée de plusieurs termes ? Comment affiner les résultats et recherches en fonction de la date du document, du type d’écriture ou du genre littéraire et de l’origine géographique ? « Actuellement, tout cela est impossible à tester, déplore Jean Winand, mais l’évolution de l’informatique permet heureusement d’envisager un avenir meilleur. » Cela fait une vingtaine d’années déjà que le service d’égyptologie s’intéresse – avec le soutien du Laboratoire d’analyse statistique des langues anciennes (Lasla) – à l’application des moyens informatiques à l’étude de l’égyptien. Les outils disponibles ont cependant montré leurs limites : il est temps de concevoir un logiciel cousu main pour égyptologues. « La rencontre avec Serge Rosmorduc, à la fois professeur d’informatique à Paris VIII et égyptologue à l’Ecole pratique des hautes études (Paris) a été déterminante, poursuit le Pr Winand. Nous lui avons confié un cahier des charges extrêmement complet afin qu’il conçoive un outil informatique qui réponde à nos besoins. » Le projet “Ramsès” est né et porté sur les fonts baptismaux à Oxford, lors de la table ronde “Égyptologie et informatique” organisée en 2006. Interdisciplinarité« Le projet ambitionne de constituer un corpus électronique rassemblant la totalité des textes écrits en néo-égyptien, expose Jean Winand. Allant bien au-delà de la simple saisie informatique de l’égyptien (sous forme translittérée), le corpus sera encodé sous sa forme hiéroglyphique et enrichi d’annotations ecdotiques (qui rendent compte de l’état du texte avec les lacunes éventuelles, par exemple) et linguistiques (morphologique, syntaxique, sémantique et pragmatique). » Innovant, tant dans le domaine de l’égyptologie que dans celui de la linguistique de corpus en général, Ramsès devrait renouveler entièrement les perspectives d’étude de la langue. L’objectif premier est de constituer une base de données accessible gratuitement sur le web. « J’insiste sur l’aspect novateur de notre démarche, poursuit le Pr Winand. Non seulement l’écriture hiéroglyphique sera complètement prise en charge dans la base de données mais en plus, et pour ne prendre qu’un exemple, il sera possible d’opérer des requêtes sur celles-ci en connexion avec la transcription et l’analyse morphosyntaxique. » Consciente de la valeur d’un tel projet, l’ULg a accordé au service un crédit important sous la forme d’une “action de recherche concertée”, laquelle vient de commencer le 1er octobre. « À terme, nous aurons engagé deux boursiers doctorants et deux post-docs en égyptologie, se réjouit Jean Winand, ainsi qu’un doctorant en informatique. » L’équipe compte en outre deux aspirants FNRS et un boursier de doctorat, ce qui portera bientôt l’effectif à neuf chercheurs, en comptant les promoteurs du projet. Liège se positionne ainsi comme un des services les plus en pointe dans le traitement de la langue égyptienne au niveau mondial. C’est ainsi que le Pr Winand s’est vu confié la direction du groupe “Langue” dans la nouvelle encyclopédie.
|
| | | Tweeter |