Octobre 2008 /177
Octobre 2008 /177

Vétuste le syllabus ?

De plus en plus d’étudiants étudient sur écran

 

L’oracle d’un responsable de la centrale des cours HEC-Ecole de gestion de l’ULg claque comme une agrafeuse : au niveau des ventes, les versions électroniques des cours ont déjà sonné le glas des petits syllabus, qui ne valent plus la peine d’être imprimés. Et cette extinction préfigure, à terme, la disparition des plus gros cours édités en version “papier”. A l’heure où, pour la première fois depuis sa création, la télévision perd des téléspectateurs, cette affirmation, peut-être un peu trop péremptoire, cristallise tout au moins un phénomène d’une ampleur récente. Il apparaît, en effet, que les étudiants passent de plus en plus de leur temps de loisirs sur leur ordinateur, et que l’habituation à cet outil les conduit tout naturellement à étudier une part de plus en plus significative de leurs cours… directement sur l’écran de leurs PC portables. Dopées par leurs prix qui viennent de passer sous la barre des 400 euros et par l’installation de l’internet sans fil (wi-fi) partout à l’Université, ces machines prolifèrent sur le campus : des cafétérias aux bibliothèques, en passant par les pelouses et les antichambres des tribunaux professoraux les beaux jours d’examen. 

Tous en ligne

Malgré l’absence d’études chiffrées permettant de mesurer la résistance du papier, on estime que près de 50% des têtes chevelues de l’ULg étudient régulièrement sur un écran et se montrent familières avec l’e-learning – terme qualifiant l’apprentissage par des outils électroniques. Une estimation qui varie sans doute énormément selon les Facultés mais qui témoigne d’une véritable tendance, comme le souligne le Pr François Pichault de HEC-Ecole de gestion : « Je considère la disparition du papier comme une lame de fond. L’Université utilise déjà diverses plates-formes en ligne permettant aux étudiants de télécharger de plus en plus de cours. A HEC-ULg, si l’on prend en compte l’ensemble du cursus, plusieurs centaines de cours sont disponibles… et près de 80% de ceux de deuxième et troisième bachelier sont désormais en ligne. Tous nos étudiants ont aussi régulièrement recours à des bases de revues en ligne, qu’ils impriment rarement. Tout cela active le mouvement et installe la norme, à l’instar des échanges croissants de documents électroniques entre étudiants et professeurs. D’ailleurs, chez ces derniers, la lecture à l’écran commence également à se généraliser, notamment lorsque des recherches ou des rapports nécessitent un traitement urgent. »
 
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Photo: ULg - Jean-Louis Wertz

La tentation “Roland Garros”

Du côté des étudiants, ce sont avant tout des raisons écologiques et économiques qui motivent l’étude à l’écran. Alors que les vitupérations de ceux qui pointaient des carences démocratiques quant à la possession d’un ordinateur semblent maintenant dégonflées, d’aucuns louent l’encombrement moindre, l’avantage de pouvoir restructurer le cours en y ajoutant des schémas colorés ou des diagrammes, la possibilité de comparer plusieurs matières en vis-à-vis ou l’opportunité d’effectuer des recherches immédiates via internet pour  améliorer la compréhension de certains points de la matière. Mais du point de vue de la critique historique, ce dernier aspect reste parsemé de chausse-trappes. « Utilisent-ils les bons outils pour vérifier l’authenticité et la fiabilité de ces sources ?, s’interroge Sébastien Brunet, chargé de cours au département de sciences politiques. Il pourrait y avoir un manque de réflexe critique de certains étudiants face à ce gigantesque réservoir d’informations potentielles dont on ne connaît pas toujours la réelle provenance, à l’inverse d’un syllabus officiel ou d’un ouvrage. »

 Autre risque, toujours lié à la connexion simultanée à internet: la multiplication des distractions. Messageries, networking ou sites ludiques forment une armée de tentations qui exigent le respect d’une indispensable autodiscipline en période d’étude. « Pourtant, rien de pire que la traditionnelle tentation de Roland Garros », constate en souriant Sébastien Brunet. Chaque génération baigne dans son propre contexte. Le potentiel de déconcentration d’étudiants bien imprégnés d’un environnement technologique ne présente pas un risque majeur dans la mesure où ils semblent capables d’alterner, de façon non problématique, de grosses phases de concentration et de distraction. Pour Elise, étudiante en dernière année de dentisterie, cette distraction fait carrément partie du programme : « En blocus, je passe ma vie sur mon ordinateur portable. Mes pauses se passent sur msn ou sur facebook et, à un moment, je commandais même mes courses par internet. » 

Si nombre de spadassins du papier que nous avons interrogés reconnaissent que le fait d’être rivés six heures d’affilée à leur écran est pour eux chose courante, certains font figure d’extra-terrestres. Telle Aurélie, étudiante en premier bachelier de lettres modernes qui se gave de livres anglophones téléchargés sur internet. Jusqu’à absorber 600 pages par semaine. Une passion. Et lorsqu’elle n’est pas en mesure de le faire sur son ordinateur, c’est sur l’écran de son téléphone portable qu’elle lit ses livres virtuels !

 

Contre-indications ?

D’une manière empirique, nos e-readers semblent avoir compris qu’une lecture confortable nécessite un fond et une typographie aux couleurs contrastées. Mais tous ne semblent pas égaux devant les troubles qui peuvent se manifester lors de sessions plus ou moins prolongées. Certains parlent alors de maux de tête et d’irritations des yeux. « Il s’agit d’un assèchement normal de la surface oculaire, dans la mesure où les paupières clignent deux fois moins pour ne pas perdre d’informations à chaque rafraîchissement ou balayage de l’écran, explique Bernard Duchesne, ophtalmologue au CHU. Cette fatigue oculaire peut s’accompagner de cervicalgies liées à une mauvaise position de la nuque. » Pour prévenir ces risques, les règles de prévention préconisent un angle de lecture de 30° vers le bas qui diminue l’évaporation, tout en correspondant à une position de repos pour la nuque et les articulations cervicales. Reste à respecter une pause d’un quart d’heure toutes les 45 minutes, pour que, contrairement aux idées reçues, une utilisation prolongée ne présente pas de réelle contre-indication. « Le fait d’être régulièrement concentré sur un écran n’engendre pas de défauts de réfraction tels que la myopie, l’hypermétropie ou l’astigmatisme, mais ne fait que révéler d’éventuels défauts visuels préexistants », achève le spécialiste. Et si l’on excepte la probabilité que, dans la mesure où un écran lumineux maintient la vigilance, un travail prolongé nocturne puisse perturber le sommeil ultérieur, le Pr Eric Salmon, responsable de l’unité de neuropsychologie du CHU de Liège, ne relève pas non plus de risques majeurs. Sauf dans les cas de susceptibilités migraineuses ou épileptiques. Reste que ces informations ne sont pas encore disponibles sur un disque dur de 2mm d’épaisseur contenant l’intégrale des cours de sept années de médecine. Avec juste une étiquette en papier. 

 

Fabrice Terlonge 
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