L’oracle d’un responsable de la centrale des cours HEC-Ecole de gestion de l’ULg claque comme une agrafeuse : au niveau des ventes, les versions électroniques des cours ont déjà sonné le glas des petits syllabus, qui ne valent plus la peine d’être imprimés. Et cette extinction préfigure, à terme, la disparition des plus gros cours édités en version “papier”. A l’heure où, pour la première fois depuis sa création, la télévision perd des téléspectateurs, cette affirmation, peut-être un peu trop péremptoire, cristallise tout au moins un phénomène d’une ampleur récente. Il apparaît, en effet, que les étudiants passent de plus en plus de leur temps de loisirs sur leur ordinateur, et que l’habituation à cet outil les conduit tout naturellement à étudier une part de plus en plus significative de leurs cours… directement sur l’écran de leurs PC portables. Dopées par leurs prix qui viennent de passer sous la barre des 400 euros et par l’installation de l’internet sans fil (wi-fi) partout à l’Université, ces machines prolifèrent sur le campus : des cafétérias aux bibliothèques, en passant par les pelouses et les antichambres des tribunaux professoraux les beaux jours d’examen.

Du côté des étudiants, ce sont avant tout des raisons écologiques et économiques qui motivent l’étude à l’écran. Alors que les vitupérations de ceux qui pointaient des carences démocratiques quant à la possession d’un ordinateur semblent maintenant dégonflées, d’aucuns louent l’encombrement moindre, l’avantage de pouvoir restructurer le cours en y ajoutant des schémas colorés ou des diagrammes, la possibilité de comparer plusieurs matières en vis-à-vis ou l’opportunité d’effectuer des recherches immédiates via internet pour améliorer la compréhension de certains points de la matière. Mais du point de vue de la critique historique, ce dernier aspect reste parsemé de chausse-trappes. « Utilisent-ils les bons outils pour vérifier l’authenticité et la fiabilité de ces sources ?, s’interroge Sébastien Brunet, chargé de cours au département de sciences politiques. Il pourrait y avoir un manque de réflexe critique de certains étudiants face à ce gigantesque réservoir d’informations potentielles dont on ne connaît pas toujours la réelle provenance, à l’inverse d’un syllabus officiel ou d’un ouvrage. »
Autre risque, toujours lié à la connexion simultanée à internet: la multiplication des distractions. Messageries, networking ou sites ludiques forment une armée de tentations qui exigent le respect d’une indispensable autodiscipline en période d’étude. « Pourtant, rien de pire que la traditionnelle tentation de Roland Garros », constate en souriant Sébastien Brunet. Chaque génération baigne dans son propre contexte. Le potentiel de déconcentration d’étudiants bien imprégnés d’un environnement technologique ne présente pas un risque majeur dans la mesure où ils semblent capables d’alterner, de façon non problématique, de grosses phases de concentration et de distraction. Pour Elise, étudiante en dernière année de dentisterie, cette distraction fait carrément partie du programme : « En blocus, je passe ma vie sur mon ordinateur portable. Mes pauses se passent sur msn ou sur facebook et, à un moment, je commandais même mes courses par internet. »Si nombre de spadassins du papier que nous avons interrogés reconnaissent que le fait d’être rivés six heures d’affilée à leur écran est pour eux chose courante, certains font figure d’extra-terrestres. Telle Aurélie, étudiante en premier bachelier de lettres modernes qui se gave de livres anglophones téléchargés sur internet. Jusqu’à absorber 600 pages par semaine. Une passion. Et lorsqu’elle n’est pas en mesure de le faire sur son ordinateur, c’est sur l’écran de son téléphone portable qu’elle lit ses livres virtuels !
Fabrice Terlonge