Octobre 2008 /177
Octobre 2008 /177

LHC

L’accélérateur de particules du Cern – l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire –, situé à la frontière franco-suisse (le Large Hadron Collider ou “grand collisionneur de hadrons” - LHC), est à l’heure actuelle le plus grand et le plus puissant du monde. Il a été mis en opération le 10 septembre dernier. Grâce à lui, les scientifiques espèrent démontrer la validité des modèles théoriques sur la création de l’Univers et sur l’origine de la masse de la matière.

 

Réactions de Jean-René Cudell, chef de travaux au département Astrophysique, geophysique et océanographie, et du Pr Laurence Bouquiaux, du département de philosophie des sciences.

 

Cudell_hr

Le 15e jour du mois : Que pensez-vous de cet outil gigantesque ? 

 

Jean-René Cudell : Le LHC est actuellement le plus grand instrument consacré à la physique. Le tunnel circulaire mesure près de 27 km et les cavernes des détecteurs sont à cette (dé)mesure : on pourrait y loger la nef de Notre-Dame ! Cet accélérateur va permettre de créer des collisions qui produiront des particules jusqu’à 1000 fois plus lourdes que les protons. Ces expériences sont d’un intérêt majeur pour la physique des particules. En effet, nous disposons dans ce domaine d’une théorie, dite “Modèle standard”, qui rend compte de tous les phénomènes que l’on connaît jusqu’à des distances infimes et nous permet, par exemple, de comprendre ce qui se passe à l’intérieur d’un neutron ou d’un proton. Mais ce modèle n’est pas la réponse ultime : il n’inclut pas la gravité, il contient trop de paramètres, et le mécanisme qui rend compte de la masse des particules implique l’existence d’une nouvelle particule, appelée “boson de Higgs”, encore inobservée. D’aucuns espèrent que le LHC détectera cette particule, ce qui confirmerait la théorie et serait, en soi, assez exceptionnel… mais cela ne nous apprendrait rien de plus ! Je préférerais pour ma part que les résultats ouvrent un nouveau chapitre de la physique des particules. Il existe par exemple des extensions du Modèle standard qui prédisent l’existence de ce que l’on appelle la supersymétrie, laquelle suppose que chaque particule possède un alter ego plus lourd qu’elle. Les expériences au Cern – qui devraient commencer réellement au début de l’année 2009 – permettront de tester ces idées, entre autres. C’est une nouvelle frontière pour la connaissance de la matière et pour la recherche fondamentale. Le LHC est peut-être un jalon capital dans l’histoire des sciences. 

 

Le 15e jour du mois : Au-delà de l’aventure purement scientifique, quel intérêt voyez-vous encore à ces expériences ? 

 

Jean-René Cudell : Les découvertes seront majeures et les retombées dans le monde civil le seront aussi, très probablement. Vous savez, le web a été inventé au Cern. Dans les années 90, les chercheurs ont souhaité que les milliers d’ordinateurs dont ils avaient besoin puissent aisément communiquer. Ils ont créé le web qui, depuis, a quitté la sphère de la physique pure ! Je pense que le domaine informatique sera une nouvelle fois bénéficiaire de toutes ces recherches. Les expériences du LHC généreront des informations par millions (on parle de 15 millions de CD par an). Pour les stocker et les analyser, le Cern met au point un outil encore plus performant que le web : la “grille” qui met en parallèle des dizaines de milliers d’ordinateurs en même temps dans le monde entier et qui permettra de faire les analyses du LHC ! De là à imaginer un réseau comportant tous les ordinateurs du monde dans une seule grille… 

 

laurencebouquiaux

Le 15e jour du mois : Que pensez-vous de cet outil gigantesque ?

 

Laurence Bouquiaux : Il semble qu’on ne puisse parler du LHC qu’au superlatif : c’est le plus puissant, le plus grand, le plus froid, etc. Sa mise en marche a exigé de faire fonctionner ensemble des milliers d’éléments et de les synchroniser avec une extrême précision. C’est cette extraordinaire prouesse technique que les ingénieurs du Cern ont applaudie lorsqu’ils ont vu apparaître sur leurs écrans le flash qui annonçait que le faisceau de protons avait terminé son parcours. C’est toujours un très beau moment lorsqu’une communauté scientifique qui a travaillé pendant des années sur un projet retient son souffle, croise les doigts pour que “ça marche”, puis se met à applaudir. Mais j’espère que le meilleur est encore à venir, que le LHC tiendra ses promesses, qu’il fera battre le cœur des théoriciens après avoir fait battre celui des ingénieurs et qu’il fournira des informations décisives à propos des grands modèles que la science a développés pour rendre compte de manière unifiée de l’ensemble des phénomènes physiques. J’espère aussi que les physiciens ne garderont pas cela pour eux, qu’ils sauront nous faire partager leur émotion, qu’ils sauront nous dire ce qu’il y a de fascinant dans la conception du monde que proposent leurs théories. 

 

Le 15e jour du mois : Au-delà de l’aventure purement scientifique, quel intérêt voyez-vous encore à ces expériences ? 

 

Laurence Bouquiaux : Pour répondre à cette question courtoise, je pourrais reprendre ce que les physiciens répliquent en général à sa version polémique (“Pourquoi tant d’argent pour la recherche fondamentale ? Ne vaudrait-il pas mieux construire des hôpitaux ?”) : l’histoire fournit quantité d’exemples de recherches orientées vers la théorie qui ont rendu possibles des développements technologiques de première importance ; c’est, en particulier, le cas des recherches menées au Cern qui ont déjà fait progresser l’informatique et donné lieu à des applications dans le domaine de l’imagerie médicale. Nous avons toutes les raisons de penser que cela va continuer. Mais au risque de passer pour une adepte de “l’art pour l’art,” j’aimerais ajouter que la poursuite de l’“aventure scientifique” constitue, à mes yeux, une raison suffisante pour justifier la construction du LHC. Surtout s’il s’agit d’une aventure partagée. Et je reviens à ce que je disais il y a deux minutes. Il faut que les physiciens nous expliquent pourquoi la traque du boson de Higgs les enthousiasme. Nous voulons participer à l’aventure et nous passionner avec eux. La vulgarisation est une tâche noble, pas une perte de temps. C’est une tâche difficile, bien sûr, qui exige que l’on respecte ceux auxquels on s’adresse, et que l’on résiste aux raccourcis racoleurs (“Nous allons recréer le big-bang”, comme on a pu le lire ici ou là, au lieu de “nous allons recréer des conditions similaires à celles qui étaient réalisées quelques instants après le big-bang”, certes moins sensationnel, mais aussi beaucoup moins trompeur, comme au renoncement désabusé (“Faites un master approfondi en physique théorique et revenez me voir, je vous expliquerai”). Mais je veux croire que le défi peut être relevé. En 1993, le ministre britannique des Sciences avait promis une bouteille de champagne à celui qui lui expliquerait ce qu’était le boson de Higgs. Et bien, il y a tout de même eu des gagnants !  

 

Propos recueillis par Patricia Janssens

Facebook Twitter