Novembre 2008 /178
Novembre 2008 /178

Puissance maximale

Ampacimon prépare une révolution pour le réseau électrique

 

 

Comment faire face à une consommation électrique toujours croissante et à la libéralisation du marché de l’électricité, sachant que nos réseaux électriques atteignent leurs limites ? Selon le principe de Nimby, personne ne veut voir de nouvelles lignes dans son jardin. D’un autre côté, remplacer les lignes existantes par un nouveau matériau capable de supporter une plus grande puissance demande un investissement financier considérable... Alors, que faire ? Des chercheurs de l’université de Liège ont misé sur une meilleure exploitation des lignes existantes... et ils y sont parvenus.
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 Lorsqu’une ligne à haute tension s’échauffe, elle se détend et se rapproche du sol. Pour des raisons de sécurité, elle ne peut descendre sous un seuil, la distance minimale par rapport aux obstacles environnants étant fixée à environ 10 mètres. Comment déterminer le maximum de courant qui peut transiter dans une ligne à un moment donné, sans que ce seuil ne soit dépassé ? Idéalement, à partir des conditions thermiques instantanées du câble. Mais ces conditions étant inconnues en temps réel, le maximum de puissance a été estimé une fois pour toutes en simulant des conditions thermiques extrêmes, à savoir (en Belgique) 30° de température ambiante, avec un ensoleillement maximum et un vent quasi nul, en plus bien entendu de l’effet Joule lié au passage du courant lui-même. Les réseaux électriques actuels sont protégés de telle sorte qu’une ligne “saute” dès que le courant maximum ainsi calculé est dépassé, quelles que soient les conditions météo réelles. Or, les conditions extrêmes qui ont servi à calculer ce courant maximum ne se rencontrent que dans un très faible pourcentage du temps... 

Gestion optimisée

 

 L’idée d’Ampacimon (fusion de “ampacité” et “monitoring”) a germé il y a cinq ans de la rencontre fructueuse entre deux équipes de chercheurs de l’Institut Montefiore à l’ULg : l’une autour du Pr Jean-Louis Lilien, du service de transport et distribution d’énergie; l’autre autour du Pr Jacques Destiné, du service électronique, microsystèmes, mesures et instrumentation. Une action de recherche concertée (ARC) en partenariat avec le Centre spatial de Liège a vu le jour. Elle débouche aujourd’hui sur une expérimentation à grande échelle sur le réseau belge. Ampacimon« Le dispositif que nous avons conçu se place directement sur la ligne à haute tension, décrit le Pr Lilien. Il s’agissait d’un défi en soi, vu les intempéries et les champs électromagnétiques : l’électronique à bord d’Ampacimon ne nécessite que quelques volts pour fonctionner, alors que le dispositif est installé sur une ligne à 400 000 volts sur laquelle règnent des perturbations électromagnétiques. Nous avons relevé le défi. Notre dispositif a d’ailleurs été breveté, notamment au niveau protection électromagnétique. Son originalité est de mesurer directement la flèche, autrement dit jusqu’où le câble descend, et ce, en temps réel sans avoir besoin de données, quelles qu’elles soient. Cette mesure fournit une estimation à chaque instant du courant de réserve qui pourrait transiter en plus dans la ligne, si nécessaire. » En outre, les données ainsi obtenues peuvent ensuite être transmises au dispatching national (endroit névralgique de surveillance de l’ensemble du réseau d’énergie électrique d’un pays), voire être envoyées dans le monde entier – à moindre frais – en empruntant localement le réseau gsm existant puis internet. « Avec Ampacimon, on pourrait quantifier en temps réel une réserve de puissance transitable dans les lignes, sans doute proche de 20% en Belgique, poursuit Jean-Louis Lilien. C’est colossal : on économise, en investissement, l’équivalent d’une ligne sur cinq. Or, une ligne à très haute tension coûte environ un million d’euros au kilomètre. Par ailleurs, le maintien en service de lignes jugées, à tort, surchargées dans la gestion actuelle permet d’optimiser l’utilisation des réseaux existants. L’unique gestionnaire du réseau électrique belge, Elia, s’est montré très intéressé : une étude-pilote est en cours sur le réseau belge 400 kV depuis début juillet 2008. » 

Spin-off en ligne

Les applications d’Ampacimon sont nombreuses. En plus d’ une meilleure exploitation des lignes à haute tension, citons-en encore une, parmi d’autres : Ampacimon devrait être capable de reconstituer le mouvement d’un câble, avec une précision de l’ordre de 1 cm. Cette donnée est nécessaire pour poser un diagnostic sur l’état “de santé” du câble. En effet, ces vibrations induisent chez lui de la fatigue; conduisant au final à sa rupture. Ampacimon devrait pouvoir prédire le délai (en années) avant cette usure fatale et permettre ainsi de prendre les dispositions nécessaires, comme installer des amortisseurs sur la ligne pour augmenter sa durée de vie.

  

Une spin-off de l’ULg, qui serait financée notamment par Elia, est également sur le point de voir le jour pour une commercialisation mondiale d’Ampacimon. Pour attaquer ce marché, nos Liégeois se sont associés au géant Siemens. « Nous débarquons au moment où la demande est forte, avec un produit aux multiples applications, sur un marché mondial... et solvable. Pas de doute : dans quelques semaines, nous sabrerons le champagne. » 

Elisa Di Pietro 

Photos : ULg-service transport et distribution d’énergie électrique

 

Contacts : tél. 04.366.26.33, courriel JL.Lilien@ulg.ac.be, ou tél. 04.366.26.16, courriel jdestine@ulg.ac.be 


Black-out

 

Un black-out est une coupure d’électricité qui touche une région géographique étendue, voire un pays. C’est une énorme pagaille, en l’occurrence... Le black-out du 14 août 2003 a plongé dans l’obscurité 10 millions de Canadiens et 40 millions d’Américains pendant deux jours. Quelques semaines plus tard, c’est au tour de 56 millions d’Italiens d’être privés d’électricité pendant plusieurs heures...  Mais le black-out le plus impressionnant est peut-être celui qui a été rattrapé de justesse, évitant les ténèbres à l’Europe tout entière. C’était le 4 novembre 2006. L’incident commence en Allemagne, lorsqu’un paquebot s’apprête à rejoindre l’océan Atlantique. Son trajet sur l’Ems l’amène à passer sous une ligne à haute tension 400 kV. Pour des raisons de sécurité et après calculs, l’opérateur national accepte de couper le courant dans cette ligne au moment du passage du bateau, à 4h du matin.  Le jour J, le bateau est prêt à partir à 22h. Sans refaire les calculs, le gestionnaire du réseau électrique donne son feu vert... sauf que la charge électrique à 22h est beaucoup plus importante qu’à 4h... Par effet domino, le réseau européen interconnecté est coupé en deux au niveau de l’Allemagne. La fréquence (50 Hz) du réseau s’écarte de la valeur nominale, risque majeur de black-out généralisé en Europe, de Varsovie à Madrid. En quelques minutes, la décision est prise de priver volontairement des dizaines de  millions de consommateurs, afin de rétablir l’équilibre perdu entre la production et la consommation. Cette solution in extremis a permis d’éviter de justesse une panne générale catastrophique dans toute le Vieux continent, avec les conséquences industrielles, sociales et économiques que cela aurait engendrées. « En Allemagne, les relais avaient déclenché des lignes 400 kV en cascade parce que le courant dépassait le seuil théoriquement admissible, explique le Pr Jean-Louis Lilien. Or, ce soir-là de l’hiver 2006, avec des éoliennes qui fonctionnaient à plein tube (et donc par grand vent), on était loin des conditions thermiques extrêmes qui ont servi à estimer le seuil de déclenchement : ensoleillement maximum, absence de vent, etc. Notre dispositif Ampacimon permet de déterminer en temps réel le courant maximum qui peut effectivement passer dans une ligne et donc d’éviter notamment (mais pas seulement) des déclenchements excessifs et dramatiques comme en 2006. » 


Numelec 2008

 

 L’Association des ingénieurs de l’Institut Montefiore (AIM) organise la 6e conférence européenne sur les méthodes numériques en électromagnétisme : “Numelec 2008”. Les 8, 9 et 10 décembre.Salle académique, place du 20-Août 7, 4000 Liège. Contacts : tél. 04.222.29.46, courriel c.dizier@aim.skynet.be, site www.aimontefiore.org
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