Novembre 2008 /178
Novembre 2008 /178

Confidences

Annie Ernaux, invitée du FER ULg

Le dévoilement de soi dans l’espace public a beau ne pas dater d’hier, il flotte encore résolument dans l’air du temps, célébré non plus seulement en tête des rayonnages les plus en vue des librairies, mais également avec l’avènement d’internet, dans les pages personnelles du quidam en ligne. En toile de fond de cette prose abondante, des récits qui ont fait date, publiés par quelques incontournables, puis plus près de nous, une pléiade d’écrivains qui ont su en peu de temps susciter l’engouement des amateurs de cette littérature de la confidence. L’écrivaine Annie Ernaux, dont les récits autobiographiques sont aujourd’hui traduits à l’étranger et analysés en classe, fait de toute évidence partie de ceux-là.

  

Autobiographie sociale

 

 

Cette ancienne enseignante, qui a très tôt mis de côté le genre romanesque pour se consacrer entièrement à l’écriture de soi, sera au centre d’une journée d’étude organisée par le FER ULg (Femme, Enseignement, Recherche), le 11 décembre, dans le cadre de l’école doctorale “Langues et Lettres”. A la recherche “d’une forme littéraire qui contiendrait toute sa vie”, Annie Ernaux, qui cultive le mot simple, quasi journalistique, n’a cessé de traduire, dans une douzaine de livres dont un prix Renaudot, sa vie intime et ce qu’elle a nommé sa “vie extérieure”. « Ernaux essaie de se dire jusqu’à l’impudeur, décrivant son cancer du sein, le sexe de son ami, son expérience de l’avortement, la maladie et la mort de sa mère, etc., signale Danielle Bajomée (ULg), coorganisatrice de cette journée d’étude avec le Pr Juliette Dor. Elle vient de publier Les Années, un livre à succès qui traite de son adolescence. Il a remué pas mal de gens. On n’a pas hésité, autour de moi, à parler d’une nouvelle forme d’autobiographie. »

  

Le succès d’Ernaux provient sans doute de ce que, en parlant d’elle-même, elle prend également en charge la mémoire d’une collectivité. « Elle pratique une autobiographie qui est, ajoute le Pr Bajomée, presque sociale dans la mesure où elle rassemble des souvenirs qui, en plus d’être les siens, sont aussi, dans une large mesure, ceux de toute une génération. » L’écrivaine française, qui doute de renouer un jour avec la fiction, cherche à comprendre, comme d’autres femmes de lettres avant elle, quels ont été les conflits nodaux qui, assez tôt dans sa vie, ont fait d’elle celle qu’elle est aujourd’hui.

  

Mères, femmes, hommes

 

 

« Duras, de Beauvoir, Sarraute, par exemple, se sont livrées par écrit, mais elles l’ont fait de manière moins intellectualisée que ce qu’a pu faire, du côté de la gent masculine, un Sartre dans Les mots, poursuit Danielle Bajomée. On a plutôt vu ces femmes se lancer dans une sorte de recherche archéologique des racines familiales, décrivant ainsi, notamment, les rapports ambigus et archaïques qu’elles entretenaient avec leur mère. Dans Une Femme, Ernaux elle-même confronte sa situation à celle de sa mère, qu’elle décrit comme une personne qui a dû renoncer à s’autonomiser, obligée qu’elle était de s’inscrire dans les schèmes sociaux des années 40. En outre, ces femmes de lettres ont posé la question de savoir comment, lorsque l’on cherche à assumer une pluralité de rôles, il convenait de se situer dans un monde qui, en dépit des avancées, était et reste encore un monde d’hommes. »

  

Annie Ernaux sera présente à Liège, entourée d’une pléiade de spécialistes de l’autobiographie, pour des exposés relatifs à son travail d’écriture et pour une table ronde autour de son dernier livre (avec les Prs Jacques Dubois, Juliette Dor, Philippe Lejeune, Danielle Bajomée, etc.).

 

 

 Patrick Camal 

 

“Annie Ernaux à Liège”, journée d’étude organisée par le FER ULg le jeudi 11 décembre.Colloque au Théâtre universitaire royal de Liège, quai Roosevelt 1b, 4000 Liège, à 10h.Interview et table ronde à la Société littéraire à 17h30. Contacts : tél. 04.366.53.96, courriel jdor@ulg.ac.be
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