Décembre 2008 /179
PapyboomLes 50 ans et plus au cœur d’une enquête européenneLa population européenne vieillit. Aujourd’hui déjà, la “vieille Europe” est le continent avec la plus forte proportion de citoyens âgés et la tendance va se renforcer au cours de ce siècle. Seul le Japon connaît une évolution similaire de sa pyramide des âges, avec une proportion grandissante des 50 ans et plus (déjà 35% de la population belge actuelle). Les causes sont connues : fécondité en berne et allongement de l’espérance de vie. Mais les conséquences accentuent les défis et posent de nouvelles questions : quelle place pour les travailleurs “âgés” ? Quel impact la retraite a-t-elle sur la santé (et inversement) ? Comment prendre en charge la dépendance, et avec quelles répercussions sur les budgets sociaux ?
![]() Photo: Jim Sumkay Troisième éditionPour mieux connaître cette population en croissance et orienter les politiques à suivre, l’Europe s’est dotée d’un outil statistique ambitieux, Share*, sous la forme d’une énorme base de données suivant à la trace plus de 40 000 personnes de 50 ans et plus dans 15 pays européens. Cette grande enquête sur la santé, le vieillissement et la retraite en Europe vient d’entamer sa troisième vague (la première date de 2004-2005) et mobilise des chercheurs partout en Europe. Pour la Belgique francophone, c’est le Pr Sergio Perelman qui en a la responsabilité au nom du Crepp, le Centre de recherche en économie publique et de la population (l’université d’Anvers s’occupant du volet flamand). Déjà bien connue pour la réalisation du “Panel démographie familiale”, l’équipe du PSBH (celle de Marie-Thérèse Casman) s’occupe, quant à elle, de la collecte des données auprès d’un échantillon de 1200 personnes actuellement (800 ménages environ en Wallonie et à Bruxelles), toujours le même afin de suivre l’évolution des résultats. Les questions posées aux sondés, très diverses, sont les mêmes, quel que soit le pays. Elles concernent l’emploi, la santé physique et mentale, les revenus, le patrimoine, les liens sociaux et familiaux, les activités non professionnelles, etc. L’enquête comprend aussi des tests physiques (force du poignet, spiromètre, etc.) et cognitifs (mémoire, aisance verbale, etc.). L’enquête en cours (2008-2009) s’intéresse aux parcours de vie. Pendant européen des bases de données américaine HRS et anglaise Elsa, Share est ainsi, comme le souligne Sergio Perelman, « un laboratoire vivant du vieillissement en Europe », une référence que plus de 1000 chercheurs dans le monde a déjà exploitée – les données leur sont accessibles gratuitement en ligne – pour nourrir de nouvelles études en sciences humaines (économie, sociologie, démographie, santé publique, psychologie, etc.) Le projet répond à une préoccupation si vitale que l’Union européenne a décidé de le pérenniser en lui octroyant le statut d’infrastructure de recherche en sciences humaines. Mais si l’Europe assume une grande part du financement, il appartient aussi aux Etats de soutenir le projet. En Belgique, c’est le cas via la Politique scientifique fédérale. « Les discussions sont en cours pour la reconduction des crédits dans les prochaines années en y associant d’autres institutions », explique le Pr Perelman. Nouvelles données, nouvelles questionsAvec Share, les chercheurs disposent de données précieuses pour apporter des éléments de réponses à des problématiques nouvelles. Dans sa thèse de doctorat en sciences économiques à l’ULg, Eric Bonsang a notamment étudié les relations entre aides formelle et informelle dans la prise en charge des parents devenus dépendants. La question centrale est celle de la substitution : comment l’aide informelle (celle des enfants, gratuite) peut-elle remplacer l’aide formelle (celle de services professionnels, payants) ? Alors que le nombre des 80 ans et plus va quintupler dans les 30 prochaines années, c’est un véritable enjeu pour des pouvoirs publics confrontés à la perspective d’une explosion des coûts de la dépendance (au point d’imaginer une nouvelle branche de la sécurité sociale, l’assurance-dépendance). Favoriser des politiques permettant aux enfants de s’occuper davantage de leurs parents serait une piste, mais avec quelle efficacité ? « La substitution serait loin d’être toujours le cas, constate Eric Bonsang, qui a produit des statistiques très détaillées à partir des données Share. Certes, il y a substitution pour l’aide formelle non qualifiée (les courses, le ménage, etc. ), sauf si la dépendance est forte. Par contre, pour l’aide formelle qualifiée (les soins infirmiers essentiellement), on n’observe pas de substitution mais plutôt une complémentarité : le temps consacré par les enfants à leurs parents, très dépendants ou moins, sert alors à mobiliser davantage d’aide formelle. » C’est-à-dire à utiliser plus de services professionnels. Une voie de recherche interdisciplinaire prometteuse est née grâce à Share et au support de l’action de recherche concertée (ARC) “Santé et Retraite” réunissant neuropsychologues (Stéphane Adam et Sophie Germain) et économistes (Eric Bonsang et Sergio Perelman)**. Elle porte sur l’évolution des capacités cognitives face au vieillissement. Il est connu que le déclin des capacités cognitives est associé au vieillissement, mais ce déclin n’est pas uniforme : il dépend de nombreux facteurs comme le niveau d’éducation, le maintien d’activités intellectuelles ou physiques… Ces facteurs constituent ainsi une forme de “réserve cognitive” permettant de limiter ou retarder les effets du vieillissement sur les capacités cognitives et même l’apparition de symptômes liés à des maladies neurologiques telles que la maladie d’Alzheimer. Mais qu’en est-il de l’effet de la retraite sur l’évolution de leurs fonctions cognitives ? Les données Share permettent pour la première fois d’envisager réellement cette question et de porter un regard différent sur les conséquences des départs anticipés à la retraite. « Le fait d’être inactif est en effet significativement associé au déclin de la réserve cognitive », analyse Eric Bonsang. Par exemple, des résultats obtenus par l’équipe liégeoise montrent que le vieillissement cognitif d’une personne de 60 ans inactive depuis moins de cinq ans par rapport à un travailleur du même âge est accéléré de 1,3 année pour des fonctions exécutives (qui permettent de s’adapter à des situations non routinières ou complexes) et de 1,22 année pour la mémoire épisodique. Et cet effet s’accroît quand la personne a quitté la vie professionnelle depuis plus longtemps ou quand elle n’a jamais exercé d’activité professionnelle. Par contre, poursuivre des activités non professionnelles (associatives, formation, etc.) ou faire de l’exercice physique peut retarder le vieillissement de cette même personne de 1,84 à 3,23 années. ![]() Photo: Jim Sumkay Les données Share concernent la santé, le vieillissement et la retraite en Europe Prises en chargeCes résultats suggèrent que parmi les coûts et les bénéfices escomptés des retraites anticipées, il faut intégrer des coûts plus précoces et durables de prise en charge de la dépendance. C’est la face sombre des prépensions ! A l’inverse, on pourrait aussi conclure – mais les chercheurs sont prudents – que maintenir plus longtemps une activité professionnelle peut, sous certaines conditions, reculer le déclin des capacités cognitives. Et plus globalement, alors que relever le taux d’emploi des personnes âgées est un objectif politique en Europe, les chercheurs analysent comment le système social, de santé ou de soins à long terme peut favoriser la participation au marché du travail, et inversement, comment celle-ci peut contribuer à une vie en bonne santé et autonome. D’autres analyses encore confirment également que la consommation des 50 ans et plus est assez équitable dans l’ensemble de l’Union, les inégalités de revenus étant en partie corrigées par les filets de protection sociale. Par contre, les inégalités de patrimoine sont, elles, très fortes. Mais de grandes disparités apparaissent entre les pays du Nord – très égalitaires – et le reste de l’Europe, la plupart de ces différences s’expliquant par le niveau de développement de la protection sociale et par les systèmes nationaux de régulation du travail des 50 ans et plus. Réunis récemment à Bruxelles, les chercheurs ont fait le point auprès des représentants des institutions, nationales et européennes, sur les informations disponibles à l’issue de la deuxième vague de Share. La réunion débordait le cadre scientifique car, si Share est un formidable observatoire, il doit surtout aider les décideurs à bien préparer l’avenir des citoyens européens vieillissants. Autant que les informations soient bien partagées ! Didier Moreau * Le projet Share (Survey of Health, Ageing and Retirement in Europe) est consultable sur le site www.share-project.org. ** Le projet ARC “Santé et Retraite” associe le service de neuropsychologie (Dr Fabienne Collette et Pr Thierry Meulemans) et le Crepp (Prs Alain Jousten, Sergio Perelman et Pierre Pestieau). Contacts : tél. 04.366.30.98, courriel sergio.perelman@ulg.ac.be Quelques constatsLa quantité des données Share successives permettent de dresser un portrait des 50 ans et plus en Europe. Quelques exemples de résultats obtenus à l’issue de la deuxième vague d’enquêtes sur 40 000 personnes dans 15 pays. La santéLes Européens du nord sont plus riches et en meilleure santé mais ceux du sud vivent plus longtemps. Les personnes à faible niveau d’éducation ont 50% de risques de plus d’être obèses. L’emploiLes individus en bonne santé prennent leur retraite deux ans plus tard que ceux ayant une mauvaise santé ; dépenser 3% des revenus du travail dans la prévention santé permettrait aux personnes de rester actives plus longtemps, donc d’économiser sur les retraites. Les réseaux sociaux et familiauxTransferts financiers : les parents ont tendance à donner à leurs enfants au nord tandis qu’ils ont tendance à recevoir de leurs enfants au sud. 10% des 50 ans et plus exercent une activité bénévole, mais le bénévolat est plus fréquent en Scandinavie et aux Pays-Bas qu’en Espagne ou en Grèce.
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