
Tout le peuple liégeois, du prince-évêque au marchand, a déambulé dans le palais
En 1980, lors des célébrations du millénaire de la principauté de Liège, le fonds Mercator avait publié un ouvrage sur le palais épiscopal dû à la plume et au talent du Pr Jean Lejeune. Depuis lors, notre connaissance de l’histoire du palais s’est affinée et le regard que nous portons sur Liège a changé. Michel Foret, gouverneur de la province de Liège, à l’initiative de la nouvelle monographie, en a confié la direction scientifique à Bruno Demoulin, chargé de cours en histoire de la Principauté à l’ULg et directeur général des affaires culturelles de la province de Liège.
Celui-ci a convoqué une équipe pluridisciplinaire au chevet du palais, de son histoire, de ses reconstructions successives mais aussi de ce qu’il représente en tant que lieu de pouvoir ininterrompu depuis plus de 1000 ans. Ce bel ouvrage s’attarde également sur l’économie de la région et l’imaginaire suscité par Liège. Enfin, il donne à voir comment une photographe de renom, Régine Mahaux, et un journaliste flamand, Guido Fonteyn, perçoivent ce palais et la ville dont il est le centre incontesté, le monument le plus connu et le plus emblématique.
C’est bien Notger, premier prince-évêque de Liège, qui fit construire un palais pour remplacer les bâtiments épiscopaux du diocèse. Un palais digne du nouveau pouvoir qui est le sien à partir de 985, date à laquelle l’évêque de Liège se voit doter d’un comté avec tous les pouvoirs y afférents : désormais le siège de l’évêque est à la fois siège d’un pouvoir religieux et d’un pouvoir politique. Remarquablement fastueux dès l’origine, le palais va être constamment agrandi, détruit, reconstruit sans jamais perdre sa fonction de lieu de pouvoir, ce qu’il est encore aujourd’hui. Un fait suffisamment rare pour être souligné.
En 1505, un incendie ravage le palais. Erard de la Marck – le plus grand homme d’Etat liégeois des Temps modernes – décide de bâtir un nouvel édifice et s’y installe en 1533. Le résultat est superbe, tant et si bien qu’en 1615 Philipe de Hurges, comparant Liège à Paris, trouve le palais liégeois plus accomply que le Louvre et les Tuileries. Joseph-Clément de Bavière, sur le trône en 1694, l’agrandit et le dote de décorations d’une grande richesse. Hélas, un nouvel incendie le détruit partiellement en 1734. Sa reconstruction souligne l’évolution du pouvoir : les trois états (chanoines, nobles et tiers, autrement dit les villes) y ont cette fois leurs locaux et appartements.
1789 laissera le palais pratiquement intact, même si le mobilier est pillé. Les Liégeois mettent en pièces la cathédrale Saint-Lambert, symbole de l’autorité contestée, alors que les nouveaux pouvoirs investissent le palais – y compris lors des deux occupations allemandes ! Aujourd’hui encore, pouvoirs judiciaire et provincial y cohabitent.
Liège et son palais ne peuvent se résumer à l’histoire, l’économie et le droit. C’est un autre mérite de ce livre que de s’ouvrir aux lettres, de montrer comment des écrivains ont perçu la cité. Liège est très tôt décrite par cinq éléments : l’eau, le relief, le clergé, le charbon et les gens. Les gens ? Ce peuple liégeois si souvent décrit, mis en scène, y compris dans le palais qu’il investit régulièrement : pendant des siècles, l’édifice abrite des commerces, des marchés, des bistrots. Hommes de pouvoir et de justice croisent les marchandes et les boutiquiers. Enfin, revenue dans son pays natal, la photographe Régine Mahaux nous livre le regard qu’elle porte aujourd’hui sur la Cité ardente.
Un livre, superbe, proposant le récit de regards croisés qui, tous, ont comme point de départ l’un des plus beaux palais d’Europe.
Henri Dupuis
Photos: Jim Sumkay
Bruno Demoulin (sous la dir.), Liège et le palais des Princes-Evêques, Bruxelles, fonds Mercator, septembre 2008.
Avec le concours des Prs Francis Balace, Jean-Patrick Duchesne, Jean-Marie Klinkenberg, Jean-Louis Kupper, Bernadette Mérenne, Michel Pâques, Philippe Raxhon et Laurent Demoulin, Catherine Lanneau (ULg), et celui de Guido Fonteyn, Isabelle Graulich, Pierre-Yves Kairis, Régine Mahaux et Cécile Oger.
Article détaillé et photos sur le site http://reflexions.ulg.ac.be