Décembre 2008 /179
Décembre 2008 /179

3 questions à Gustave Moonen

Non, le numerus clausus n’est pas mort

 

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Photo: ULg - Jean-Louis Wertz
Gustave Moonen est le doyen de la faculté de Médecine de l’ULg.
 

En 1987, le gouvernement fédéral – sur les conseils des organisations professionnelles et syndicats des médecins – a décidé de limiter l’accès à la profession médicale. Depuis lors, un arrêté royal fixe le nombre de candidats qui ont annuellement accès à la formation de médecin généraliste et de médecin spécialiste en Belgique, dont les soins seront remboursés par l’Inami. C’est ce que l’on appelle un numerus clausus.

 

Afin de faire correspondre au mieux le nombre de diplômés au nombre d’attestations fixé par le gouvernement fédéral, la Communauté flamande a organisé un examen d’entrée en faculté de Médecine. La Communauté française, depuis 2006, a instauré un concours à l’issue de la première année*. Mais manifestement, après les développements rocambolesques de cet été, cette solution a atteint ses limites. Quelle est la situation actuelle ? 

 

Le 15e jour du mois : Un décret datant du 31 octobre suspend le concours en faculté de Médecine. Pour quelles raisons ?

 

Gustave Moonen : Dès l’origine, je tiens à dire que l’instauration du concours a soulevé beaucoup de réticences de la part des professeurs. Par ailleurs, les dispositions légales règlementant sa mise en place ont varié au cours du temps, ce qui a suscité à plusieurs reprises l’ire des doyens de Médecine. Mais revenons sur les dernières décisions : en 2004, la ministre Marie-Dominique Simonet décide que le concours serait organisé après la première année d’études et que les crédits obtenus par les étudiants malchanceux de 1er bachelier en médecine pourraient être valorisés dans une autre filière, scientifique ou (para)médicale.

 

Mais si les Français ont la culture des concours, nous ne l’avons pas. Et les étudiants qui ont réussi leur année mais pas le concours – ceux que l’on a baptisés les “reçus-collés” – n’ont eu de cesse de porter l’affaire en justice. Avec des résultats parfois opposés, sinon incohérents ! En 2007, un étudiant a déposé un recours devant le Tribunal civil. Il a été débouté, la juge estimant que l’ULg en l’occurrence avait respecté les termes de la loi. Quelques mois plus tard, un recours est introduit par des étudiants devant le Conseil d’Etat et aussi devant le Tribunal civil, qui leur donnent tous deux gain de cause !

 

Parallèlement à cet imbroglio judiciaire, des présidents de partis se sont, en juin dernier, émus du sort des “reçus -collés”. Et ce à ma grande surprise, avouerai-je, dans la mesure où la situation perdurait depuis trois ans, comme une compassion à retardement… Un nouveau décret paraît en juillet dernier; il augmente de 200 unités, en principe réparties à part égale en 2007-2008 et 2008-2009, le nombre d’étudiants admis au coucours en Communauté française, tout en autorisant les universités à prélever, à raison de 15% maximum, des attestations du quota 2008-2009. Conformément à la clef de répartition fixée entre les universités, 22 étudiants supplémentaires sont alors admis en 2e année à l’ULg. La même disposition était prévue pour 2009 également. Las ! Le Conseil d’Etat a imposé à l’ULg de prélever immédiatement 16 attestations au profit des étudiants de 2008 et donc au détriment de ceux de 2009. Tout cela a généré un tel tollé (prenant souvent la forme de recours devant diverses juridictions) que la ministre a dû se résoudre à publier un décret suspendant pendant deux ans le concours organisé dans les facultés de Médecine et accordant aux “reçus-collés” des années antérieures (délibérés en 2006, 2007 et 2008) une admission en 2e année de bachelier. Le résultat ? 185 étudiants sont inscrits actuellement en 2e bachelier à l’ULg, soit le double de l’année précédente.

 

Le 15e jour : Une décision qui ne règle pas le problème de la sélection en fin de cursus…

 

G.M. : Dans un premier temps, ce décret apaise les craintes des étudiants. Mais ne nous leurrons pas, si le concours paraît mal en point, le numerus clausus n’est pas mort pour autant. C’est la raison pour laquelle les doyens des facultés de Médecine défendent l’idée d’établir – à l’instar des universités du nord du pays – un “simple” examen d’entrée. L’épreuve, organisée au niveau communautaire, porterait sur des connaissances scientifiques de base et également sur des aptitudes au raisonnement scientifique. Je suis certain que cela amènerait une plus grande sérénité dans les amphis. Certes, l’adéquation diplômés/attestations ne serait pas garantie de façon absolue mais si l’on regarde l’expérience flamande, le nombre de “surnuméraires” n’est pas plus élevé chez eux que chez nous. Par ailleurs, il semble que le gouvernement fédéral assouplisse un peu ses règles : la ministre Laurette Onckelinx a publié un arrêté qui élargit le nombre d’attestations octroyées par l’Inami jusqu’en 2018. Elles passent progressivement de 757 en 2008 à 1230 de 2015 à 2018. Mais les calculs n’ont évidemment pas tenu  compte des réussites – nombreuses – de cette année.

 

Dans tout ce chaos administratif, j’ai fait remarquer il y a peu – et le recteur Bernard Rentier me soutenait – que les décisions ministérielles se prenaient sans s’inquiéter de la capacité des universités à former les candidats médecins. Certes, les cours ex cathedra se dispensent aussi bien devant 100 ou 200 personnes, mais l’organisation des démonstrations et des stages cliniques pose problème. Plus il y a d’étudiants, plus il faudrait multiplier les tuteurs, car l’expérience clinique est essentielle pour les candidats médecins.

 

Le 15e jour : Comment voyez-vous l’avenir proche ?

G.M. : Je pense que nous ne ferons pas l’impasse sur des questions de fond. Quelle médecine voulons-nous en Belgique dans la société de demain ? Le revenu des médecins doit-il être un critère déterminant pour notre politique de santé publique ? Voulons-nous garder une dimension humaine à la relation entre le praticien et le patient ? Pouvons-nous, moralement, décider de limiter le nombre de médecins alors qu’il en manque chez nous et, surtout, dans le monde ? C’est de la sphère politique – celle qui gère la cité – que l’on attend les réponses. Pour l’instant, comme on vient de le voir cet été, les décisions politiques et judiciaires sont incohérentes, prises dans l’urgence et sans véritable projet. Et cela génère un malaise bien compréhensible parmi les étudiants, parmi les professeurs, mais aussi plus largement au sein des hôpitaux et de la population. A mon sens, il faut réunir au chevet de la médecine tous les acteurs concernés – gouvernement fédéral, gouvernement communautaire, universités, syndicats de médecins – afin de fixer des objectifs clairs et de déterminer une démarche cohérente pour les atteindre.

 

 

Propos recueillis par Patricia Janssens

 

 

* Détails sur le blog du Recteur : http://recteur.intranet.ulg.ac.be/
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