De nos jours, les controverses liées aux questions scientifiques et technologiques fleurissent et l’attention portée aux effets secondaires des sciences et des techniques s’accroît considérablement. Les exemples ne manquent pas : réchauffement climatique, gestion des biotechnologies, effets des champs électromagnétiques sur la santé ou l’environnement, ou encore émergence des nanotechnologies. Dans un contexte largement imprégné d’incertitudes multiples, c’est la question du processus de production de connaissances scientifiques et d’artefacts techniques qui est en jeu, et avec lui la place des experts et des profanes dans une société moderne sous tension et en proie à un brouillage des frontières et des certitudes.
Assez paradoxalement, alors que les institutions se révèlent souvent inadaptées pour affronter les défis posés par notre modernité et gérer les effets pervers de notre développement scientifico-technique, c’est pourtant au sein de ces mêmes institutions que pourront émerger des espaces discursifs d’interaction qui constitueront éventuellement de puissants leviers d’action et de changement.
C’est pour cette raison qu’à partir du début des années 1980, la plupart des pays d’Europe occidentale ont jugé utile de se doter d’un office parlementaire d’évaluation technologique (ou Technology Assessment - TA) afin de faciliter la gestion publique des innovations technologiques. Le TA se réfère à un processus scientifique, interactif et communicationnel qui contribue à la formation d’une opinion à la fois publique et politique sur les aspects sociétaux des sciences et des technologies.
Mais il s’agit également d’un instrument de politique publique qui, à travers la production de connaissances anticipatives, structure la vision des acteurs politiques et sociaux et oriente la relation entre les gouvernants et les gouvernés. Faire le choix de créer un espace institutionnel au sein duquel pourra se développer un office de TA relève donc d’un choix politique qui reflète une certaine vision de la relation science-société.
En Belgique, il n’existe qu’un seul instrument d’évaluation technologique institutionnalisé auprès du Parlement flamand : le viWTA, créé par décret en juillet 2000. Sa mission est double : fournir aux parlementaires flamands des études scientifiques objectives et indépendantes sur des technologies pertinentes et stimuler le débat public relatif à la science et la technologie.
Au sud du pays, la Wallonie avait déjà confié en 1994 à son Conseil de la politique scientifique (CPS) une mission de réflexion et d’action dans le domaine de l’évaluation des choix technologiques. Mais, à la différence de l’initiative flamande qui fut couronnée de succès, le CPS décida en 2002 de ne plus remplir cette mission de Technology Assessment, à la fois par manque de visibilité, d’envie et de leadership.
Pour l’heure, alors que la Wallonie a lancé une nouvelle initiative de soutien à la croissance et à l’innovation via le plan Marshall et que l’administration publique wallonne est en pleine transformation, le laboratoire Spiral a récemment organisé une journée de réflexion consacrée à la gouvernance et au Technology Assessment. Cette initiative a permis de rassembler des acteurs wallons de l’innovation, des experts scientifiques nationaux et internationaux et des décideurs publics autour du thème de l’évaluation technologique. C’était l’occasion de constater la manière dont les principaux bénéficiaires potentiels d’un TA définissaient leurs besoins en termes d’expertise stratégique pour gérer l’innovation technologique. Il s’agissait aussi de mesurer la volonté d’action politique de s’engager dans une telle voie.
A l’intérieur de cet espace de discussion, il a notamment été question d’une initiative concrète visant à créer à nouveau une cellule d’évaluation des choix technologiques au sein du Conseil de la politique scientifique en Région wallonne, à présent que les mentalités semblent avoir évolué. À la base du projet, la députée Joëlle Kapompolé a en effet détaillé une proposition de résolution qu’elle co-signe avec d’autres députés wallons. La ministre Marie-Dominique Simonet a déclaré soutenir avec force cette résolution et a indiqué tout l’intérêt que représente l’évaluation des choix technologiques pour notre société. A l’heure actuelle, la proposition de résolution a été très facilement votée en séance plénière au Parlement wallon. Il s’agit à présent de suivre pas à pas l’évolution du dossier et de rester vigilant pour éviter de tomber dans les écueils du passé. Le succès ou l’échec de cette nouvelle initiative tiendra notamment dans l’indépendance politique, financière, éditoriale et institutionnelle de cette nouvelle structure. Celle-ci devra selon nous pouvoir mobiliser des méthodes participatives, constituer un forum structuré d’échanges et de discussions afin de permettre une critique sociale constructive des choix technologiques, sans pour autant être perçue à tort comme un frein au développement de la Wallonie. Fortes de l’expertise accumulée dans les centres de recherche en “Science, Technologie et Société”, les universités ont plus que jamais un rôle à jouer dans l’orientation à donner à ce projet afin d’augmenter ses chances de réussite.
Pierre Delvenne
aspirant FNRS au laboratoire Spiral, département de sciences politiques