Ententes, abus de position dominante, contournement des législations sur la concurrence… Dans un rapport provisoire adopté en novembre dernier – rapport très attendu, il faut le souligner –, la Commission européenne accuse les grands groupes pharmaceutiques présents sur son territoire d’entraver la mise sur le marché de médicaments concurrents aux leurs. Premières victimes, les médicaments génériques. Pour le patient, le coût de ce blocage avoisinerait les trois milliards d’euros…
Le rapport tire ainsi les premières conclusions d’une enquête sectorielle d’envergure, lancée début 2008 par une série de demandes de renseignements mais aussi de perquisitions chez plusieurs groupes importants comme GlaxoSmithKline, Sanofi-Aventis, Novartis ou encore AstraZeneca. Pour la commissaire à la concurrence, Neelie Kroes, les règles en la matière connaissent de sévères ratés : « L’entrée des entreprises de génériques sur le marché et la mise au point de nouveaux médicaments plus abordables sont parfois entravées ou retardées, ce qui entraîne des coûts substantiels pour les systèmes de soins de santé, les consommateurs et les contribuables. »
Pour freiner la mise sur le marché des médicaments concurrents, les grands groupes adopteraient, selon ce rapport, des stratégies défensives en matière de brevets. Prolongation de la durée de protection, dépôt de brevets multiples pour un même produit, introduction de poursuites judiciaires abusives, voire même intervention directe auprès des pouvoirs publics nationaux lorsqu’une demande d’agrément est déposée pour un générique.
Pour Nicolas Petit, chargé de cours en droit de la concurrence, les conclusions provisoires soulevées par la Commission mettent en lumière une problématique plus importante, celle de la propriété intellectuelle : « En filigrane, poursuit le chercheur, le rapport démontre qu’il existe un problème structurel de propriété intellectuelle. Le système d’attribution des brevets cautionne de tels abus, en protégeant des innovations de pacotille, puis en autorisant des procédures à rallonge. Ce qui ralentit la mise sur le marché de certains génériques. On assiste plus à une limite – voire une dérive – du système de protection des innovations qu’à un réel problème de droit de la concurrence. »
Pour tenter de répondre à cette question centrale, le master complémentaire en “droit de la concurrence et propriété intellectuelle” de l’ULg (dirigé par Nicolas Petit) et le Centre innovation des Facultés universitaires Saint-Louis organisent une après-midi d’étude sur l’interface entre le droit des brevets et le droit de la concurrence. « Le but est de rassembler autour d’une même table tous les acteurs du secteurs qui, finalement, ne se parlent jamais, explique le chercheur. Nous conduirons ainsi les échanges et les discussions entre la Commission, les industriels du secteur pharmaceutique, les fabricants de génériques… Ce qui n’est pas une mince affaire puisque le secteur pharmaceutique aime le secret et refuse souvent d’évoquer publiquement son mode de fonctionnement. »
François Colmant
| Colloque “Droit des brevets, droit de la concurrence”. Conférence en anglais, le 14 janvier 2009, de 13 à 18h15, à la Fondation universitaire, rue d’Egmont 11, à 1000 Bruxelles. |