Erasme ayant été érigé en patron du programme de mobilité européenne quasiment éponyme, l’on en viendrait à oublier qu’Erasmus est également l’acronyme de “European Community Action Scheme for the Mobility of University… Students”.
Sur base de ce dernier mot, il n’est pas étonnant qu’une majorité de personnes ignore que le mouvement, qui a permis à plus d’un million et demi d’étudiants de participer à des échanges universitaires entre pays européens partenaires, s’adresse également au corps enseignant. Le ministre français de l’éducation déclarait lui-même au mois de mai : « Pour nos jeunes, la communauté européenne va de soi. Peut-être faudrait-il que nous fassions un effort plus grand, en revanche, pour nos enseignants. Par exemple, il faudrait que l’on fasse (...) un Erasmus des professeurs (...), s’ils le veulent, bien sûr. »
S’il ignorait manifestement que l’Erasmus pour les profs existe depuis 20 ans et des poussières, Xavier Darcos soulignait plus judicieusement la notion de volonté, sur laquelle le rejoint complètement Philippe Hubert, du laboratoire de chimie analytique de l’ULg. « Pousser les professeurs à partir relèverait de l’ineptie, en regard d’une charge de travail hebdomadaire qui ne souffre pas trop les absences. Mais il est clair que cette mobilité peut être favorisée et aidée, pour autant qu’elle soit toujours bien l’émanation d’une démarche personnelle », estime le chargé de cours qui était parti, le mois où le ministre s’exprimait, pour une mission d’enseignement de dix jours à l’université Cluj Napoca (au nord-ouest de la Roumanie). Une courte durée qui constitue la première différence entre les Erasmus des professeurs et ceux des étudiants.
Pour avoir encadré les séjours des futurs diplômés avant de gérer ceux de leurs pédagogues, Dominique d’Arripe, du département AEE aux relations internationales, est bien placée pour différencier les deux bords du programme financé par l’Union européenne, et pour un quart par l’Université : « Les enseignants ne peuvent pas partir plus de huit semaines. Mais ils choisissent généralement la période la plus courte : une semaine. Leurs missions, nettement mieux remboursées que les séjours de leurs élèves, portent soit sur un enseignement de minimum huit heures de cours dans une université ou une haute école partenaire, soit sur la visite d’un futur partenaire pour mettre en place une relation académique ou discuter des possibilités d’envoyer et de recevoir des étudiants pour des stages. C’est également une opportunité de discuter de leurs recherches. Il est par conséquent très rare qu’ils partent à l’aventure, sans connaître leur contact sur place. Cela se fait généralement par le biais de colloques ou de voyages préalables. »
Pourtant, en ayant choisi de débarquer à l’université espagnole de Valladolid sans connaître prof qui vive, à l’invitation d’un étudiant qui avait apprécié son cours interactif à l’Ecole de gestion (HEC-ULg) lors de son séjour Erasmus en Belgique, Michele Johnson fait figure d’exception. Pas pusillanime, cette enseignante, chargée d’un cours “An Introduction to intercultural studies and Business Communication Skills”, est revenue enchantée. Comme la trentaine de professeurs de l’ULg qui sont partis en 2008, majoritairement en France, pour revenir en laudateurs du concept Erasmus-prof. D’origine anglophone, c’est grâce à la réactivation de bases d’espagnol acquises en secondaire et en supérieur qu’elle a pu enseigner là-bas à des auditoires vraiment timorés en anglais, mais qui furent bien forcés de s’y mettre pour corriger ses erreurs dans la langue ibérique.
Au-delà du caractère intensif des séjours (foisonnement des rencontres, des visites ou adaptation des cours au pays d’accueil), l’expérience culturelle demeure le dénominateur commun entre les séjours des professeurs et ceux des étudiants. L’accueil chaleureux, la confrontation aux autres réalités des universités étrangères, les échanges intellectuels ou même l’intégration à des moments de la vie locale sont au cœur de l’engouement affiché à 99%. « J’ai ainsi été invitée à la fête d’anniversaire d’une des collègues sur place et à une réunion du parti socialiste français », raconte Bernadette Mouvet, qui dirige le service de méthodologie des innovations scolaires. Partie cinq jours à l’université de Paris X, elle insiste : « N’hésitez pas à dire que je suis enchantée, reconnaissante, enthousiaste et que je félicite l’administration de l’ULg pour son soutien et son efficacité. »
Alors, même si le séjour des professeurs ne s’apparente pas à la période de relatives vacances mises en avant par les plus jeunes disciples d’Erasme, il reste ces anecdotes sans lesquelles un Erasmus n’en serait pas un. Michele Johnson a reçu tellement de cadeaux qu’elle a dû payer un supplément de bagages à la compagnie aérienne. Philippe Hubert, lui, n’oubliera pas son premier petit-déjeuner roumain consistant en une omelette costaude, parée de deux énormes saucisses. Ou encore l’alcool de prune à 40° (Tuica) servi à 11h du matin, puis durant tout le repas. Des sourires qui ne font pas oublier la mission essentielle de ces ambassadeurs, tous prêts à repartir : forger l’aura internationale de l’université de Liège.
Fabrice Terlonge