Alexandre Defossez est assistant à l’Institut d’études juridiques européennes au sein de la faculté de Droit.

Intégrée dans l’Union européenne en 2004, la République tchèque en assure la présidence depuis le 1er janvier dernier. Avec un handicap : le gouvernement actuel de Prague, s’il n’est pas europhobe, n’est pas pour autant europhile. Le président Vaclav Klaus en particulier a fait quelques déclarations intempestives indiquant clairement son euroscepticisme revendiqué, ce qui ne constitue pas – c’est le moins que l’on puisse dire – un signe fort pour la présidence européenne. Mais le système est tel qu’il confie, tous les six mois, les rênes de l’Union à un pays membre.
Le 15e jour du mois : Manifestement, le système de la présidence tournante, qui avait le mérite d’impliquer tour à tour les Etats dans l’élaboration de l’Union européenne, montre ses limites…
Alexandre Defossez : En effet. L’image de l’Europe est trop dépendante des convictions du gouvernement en exercice au moment où la direction de l’Union lui incombe. L’écart que l’on observe entre Nicolas Sarkozy, qui vient de quitter la présidence, et Mirek Topolanek, le premier ministre tchèque qui en hérite, est vraiment très important : ce n’est évidemment pas d’un heureux effet. Cette différence d’approche n’a pas tardé à se marquer, par exemple dans la gestion du conflit à Gaza, où la première sortie de la Présidence sur le caractère “défensif” de l’offensive israélienne a été moyennement appréciée.
Comme l’avait relevé très maladroitement Jacques Chirac en son temps, il est patent que plusieurs pays d’Europe “de l’Est” sont plus proches des positions américaines que de la “vieille Europe”. Sans doute l’élargissement de l’Union a-t-il été un peu rapide : le rideau de fer a cruellement divisé le continent européen pendant des décennies. Après la chute du mur de Berlin, les mentalités, les cultures n’ont pas eu le temps de se marier… Les maladresses commises par la présidence actuelle sont cependant désastreuses. Les déclarations à l’égard de la situation en Israël en témoignent : elles ne reflètent pas du tout la position européenne. Et c’est le président français qui s’est rapidement rendu dans la région et a fait passer le message : l’Europe est bien partisane d’une solution négociée.
On assiste dès lors à une concurrence sur le plan du leadership. Une situation un peu inédite, je pense. Nicolas Sarkozy – qui n’a pas ménagé ses efforts pour faire exister la présidence de l’Union – continue sur sa lancée. Son action au Proche-Orient éclipse un peu la voix tchèque puisqu’il fut le premier à se rendre sur les lieux, avant même la délégation dépêchée par la présidence européenne. A mon sens, cette rivalité ne peut être que nuisible à l’Union, déjà fragile en matière de politique extérieure. Pour l’ensemble de ces raisons, je pense qu’il est grand temps d’en finir avec la présidence tournante. Autre élément militant en faveur de cette suppression : imaginez-vous la Belgique, dans sa situation interne actuelle, aux commandes de l’Europe aujourd’hui… ?
Le 15e jour : Seule la mise en vigueur du traité de Lisbonne pourra mettre un terme à ce système ?
A.D. : L’Union ne peut plus fonctionner si ses institutions ne sont pas rénovées, c’est l’objet du traité de Lisbonne. Parmi les dispositions prévues, la désignation d’un haut représentant pour la politique étrangère, la mise en place d’un système de décision plus démocratique ainsi qu’un rôle accru pour les Parlements européen et nationaux. Mais aussi la fin de la présidence tournante de l’Union et le choix d’un président par le Conseil européen dont le mandat de deux ans et demi pourra être renouvelé une seule fois.
On pourra enfin mettre un visage sur l’Europe…, mais il est évident que le choix du Président (ou de la Présidente) sera tout sauf neutre. Porter à ce poste une personnalité sans charisme ou, pire, franchement eurosceptique, laisserait à quelques grands Etats la possibilité de maintenir leur rôle prépondérant. Après l’effacement progressif du rôle d’aiguillon de la Commission européenne, les partisans d’un fédéralisme européen assisteraient alors, impuissants, à la création d’une belle coquille vide… Actuellement, le nom de Tony Blair semble remporter les suffrages, mais une question taraude les analystes : a-t-il une vision européenne ? Certes, il a du charisme, mais l’Angleterre ne figure pas parmi les meilleurs élèves de l’Europe. Par ailleurs, l’Irlande a rejeté le traité qui donc, pour l’instant, est caduc…
Le 15e jour : Les Irlandais vont-ils retourner aux urnes ?
A.D. : Vous vous souvenez sans doute que le référendum organisé le 12 juin 2008 par l’Irlande pour ratifier le traité de Lisbonne a abouti à son rejet. Les membres de l’Union ont fait pression sur le gouvernement irlandais pour qu’il organise, avant le mois de novembre 2009, une deuxième consultation populaire à ce sujet (rappelons que les Irlandais avaient déjà refusé de ratifier le traité de Nice par référendum… et qu’ils avaient revoté pour finalement accepter, il y a donc un précédent !). Des concessions leur ont été accordées, notamment en ce qui concerne le nombre de commissaires européens. Des garanties leur ont aussi été confirmées en matière de mœurs, de fiscalité et de neutralité militaire. Est-ce la bonne solution ? Je crois que nous n’avons pas le choix. Le traité de Lisbonne permettra à l’Europe de sortir des impasses institutionnelles actuelles, notamment en supprimant la présidence tournante. Dernier détail : la République tchèque n’a toujours pas ratifié le traité de Lisbonne, ce “mal nécessaire” selon son premier ministre.
Propos recueillis par Patricia Janssens