
Taureau de Francis André (1984)
Le Musée en plein air serait en réalité un garçon de 32 ans à la nationalité belge. Puisque le web rend possible la multiplicité des profils identitaires, certains ne s’étonneront pas que la page Myspace officielle personnifie littéralement l’écrin d’œuvres contemporaines du Sart-Tilman, créé en 1977 sous l’impulsion de Claude Strebelle (l’un des architectes du nouveau domaine universitaire). L’exposition permanente de ces œuvres polymorphes trouve en réalité son identité en milieu naturel… Dans son biotope, serait-on tenté de dire, lorsque l’on imagine les cohortes de sangliers qui se repaissent chaque nuit de culture, à l’heure où les derniers chercheurs abandonnent à contrecœur leurs chers laboratoires sans une pensée pour la centaine d’œuvres perdues dans le campus boisé. Le spleen du musée effacé ?
Piqué au vif, Pierre Henrion, historien de l’art et conservateur du musée, engage une formule, et un sourire. « Pourquoi va-t-on se promener à Florence plutôt qu’à La Louvière ?, persifle ce bon communicant infiltrant aussi l’internet et les sites dits de socialisation tels que Myspace ou Facebook. Les œuvres d’art ne sont pas toujours là pour être identifiées puisque, telles des réalisations architecturales souvent anonymes, elles peuvent simplement contribuer au bien-être qu’il nous arrive de ressentir dans certains lieux. Le Musée en plein air, c’est de l’art public. Les artistes intègrent également, dans leur démarche, le fait que leur pièce va être utilisée, qu’elle va prendre du sens pour l’utilisateur de cet environnement dont elle peut aussi enrichir la signification. »
Et de prendre pour exemple la sculpture mégalithique de Félix Roulin, à l’entrée de la faculté de Droit, dont le pied en pierre peut représenter le vestige d’une statue gigantesque sous lequel une forme pointue suggère le fléau de la balance ou le glaive de la Justice. Mais au-delà d’une recherche de sens pas toujours voulue par l’artiste, certaines œuvres valent simplement par leur qualité esthétique. A l’instar du bronze de George Grard (La Caille) représentant, à quelques pas de là, une femme recroquevillée dont la qualité de la forme confère davantage de justesse au petit jardin dans lequel elle est discrètement incorporée.
D’autres, au détour d’une allée ou d’un sentier, ne sont pas toujours identifiées comme des œuvres d’art. Souvent vu comme un simple mur de pierre rappelant un peu nos Ardennes, le Mur de pierre d’âge viséen bâti devant les grands amphithéâtres est pourtant l’une des œuvres fondatrices du Musée en plein air, créée en 1967 avec les premiers bâtiments. 13 ans avant la célèbre Mort de l’automobile de l’artiste liégeois Fernand Flausch, qui représente une vieille voiture américaine prise dans un bloc de béton de plusieurs mètres de côté. « Pourtant, parce qu’elle est placée dans un nœud routier, tout le monde ne la voit pas forcément, relève Pierre Henrion. Mais de nombreux promeneurs en profitent, puisque notre domaine a le privilège d’être plus ouvert qu’un musée traditionnel davantage destiné aux amateurs d’art. Son socle est parfois tagué. » 10 000 plans du musée sont distribués chaque année.
Du reste, elles doivent en voir de toutes les couleurs, les œuvres. Entre les enfants qui font des galipettes dessus le dimanche, et les couples d’étudiants qui font la même chose dessous les semaines d’été. Heureusement, on note très peu de vandalisme, et les pièces sont intégrées dans un cycle de restauration et d’entretiens “en bon père de famille”. La commission culturelle de l’asbl est par ailleurs très attentive à la pérennité des œuvres commandées, lorsqu’elle rend son avis consultatif sur les futures acquisitions qui recevront l’aval du conseil d’administration. Les œuvres sont également soumises à l’appréciation des occupants des bâtiments voisins. Bien qu’offerte à l’ULg par un médecin de la Faculté, on n’aurait pas mis la vierge folle de Rik Wouters (l’œuvre la plus ancienne du musée, un nu sculpté en 1912) sous les fenêtres du département de gynécologie-obstétrique. Pudiquement rebaptisée La joie de vivre, elle se déhanche en fait sous les fenêtres du château de Colonster. Quand on vous dit qu’il ne faut pas toujours rechercher un sens.
Fabrice Terlonge
Plus d’informations et le plan du musée sur le site www.museepla.ulg.ac.be.