73 ans les séparent. Mais c’est un pur hasard si l’étudiante la plus âgée et l’étudiant le plus jeune, inscrits cette année à l’ULg, sont nés en été et s’ils sont tous les deux entrés à l’Université à 16 ans. C’est d’ailleurs l’âge actuel de Milan Cosnefroy, inscrit en 1er bachelier en physique à l’heure où Annette Gérard, son aînée, suit sa quatrième année de cours de littérature espagnole, en auditeur libre, au seuil de ses 90 ans. Loin d’être des curiosités, ces deux fortes personnalités sont à peine des as de la mercuriale, bien déterminées à ne jamais s’en laisser compter. « C’est au hasard d’une rencontre que je suis entrée un peu plus tôt à l’école primaire de Seraing, dès l’âge de 5 ans, se souvient la doyenne des étudiants, qui rappelle volontiers qu’elle a l’âge du Traité de Versailles. Or, les deux premières années étaient regroupées dans une seule classe. Et je comprenais vite, ayant l’esprit très curieux. Je suis donc entrée à l’université de Liège en 1935 pour faire une licence en germaniques, que j’ai obtenue au moment de la mobilisation, juste avant la guerre. Comme il fallait alors remplacer les hommes, je suis allée enseigner dans un athénée à Verviers où j’ai fait toute ma carrière jusqu’à la pension. »

Il était alors toujours temps de laisser filer sa curiosité et de donner une “leçon” à ses deux filles et trois petits-enfants. Après des cours en promotion sociale, Annette décide de se réinscrire à l’univ’ à 86 ans, par curiosité, et pour ne pas faire les choses en amateur. Aussi parce que « la littérature latino-américaine est d’une richesse extraordinaire ». Consciente de ne plus être en mesure de pouvoir passer, à son âge, un examen universitaire, elle reste imprégnée de la sensation soudaine d’ouverture sur le monde qui avait marqué sa première entrée à l’ULg : « A ce moment-là, on avait à peine la radio et nous avions tout d’un coup l’impression d’une découverte non seulement de la connaissance, mais aussi d’une autre façon de voir les choses. D’autant que je ne provenais pas d’une famille d’intellectuels. J’avais d’ailleurs dû obtenir un prêt pour faire mes études. Maintenant, il me semble que davantage d’étudiants qui entrent à l’université n’ont rien à y faire. D’autres y voient seulement un moyen d’obtenir un diplôme pour gagner leur vie. Ce doit être moins exaltant ! » Si elle attend calmement d’être arrière-grand-mère, l’ancienne prof conserve un regard critique – et vif – sur la crise économique actuelle. « On dit qu’il faut du changement, mais on dirait que personne n’a envie de faire la révolution. Je ne dis pas ça pour rire, vous savez ! », s’exclame-t-elle.

Malgré ses cheveux longs, Milan Cosnefroy, son plus jeune benjamin dans notre Alma mater, ne semble pas prêt à embraser la société, lui qui a plutôt la tête tournée vers les étoiles. Son parcours, c’est une scolarité avec déjà deux années d’avance à l’âge de 11 ans, et une vie partagée entre la Tchéquie, le Burkina Faso, l’île de Mayotte et celle de la Réunion avec un père médecin et une mère kinésithérapeute. « A 11 ans, ceux de ma classe me prenaient un peu pour une curiosité. Maintenant, la différence passe bien », rassure cet étudiant à la coule. Reste que, réussissant sans problèmes en travaillant très peu, Milan doit faire des jaloux. Cette aptitude lui laisse suffisamment de temps libre pour lire, jouer du saxophone et du piano, apprécier le jazz ou toucher à l’informatique, en attendant d’aborder des études d’astrophysique.
Mais comment ce Français a-t-il atterri à Liège, après tant de voyages ? « Mon grand-père est Liégeois, et ma mère a vécu ici. Comme l’université de Liège a une bonne réputation dans le domaine de l’astrophysique et que je ne voulais pas passer par les classes de prépa en France, on a tous débarqué ici, avec mes deux sœurs. » Des jumelles de 7 ans actuellement en 4e primaire, qui battent toute la famille au poker, et que l’on verra peut-être débarquer au service des inscriptions de la place du 20-Août à un âge… somme toute assez banal.
Fabrice Terlonge