Mars 2009 /182

Festival du film policier

Le Festival international du film policier se déroulera au Palace, du 15 au 19 avril prochain. Tirs croisés de Dick Tomasovic, chargé de cours au département arts et sciences de la communication, et de Michaël Dantinne, chargé de cours à l’Ecole de criminologie Jean Constant. 

 

 

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Le 15e jour du mois : Le film policier est-il un genre à part ?

 

Dick Tomasovic : Assurément. Avec le film burlesque et le western, le film policier constitue l’un des genres les plus codifiés et les plus anciens de l’histoire du cinéma. En 1913 déjà, Louis Feuillade, premier grand réalisateur français de film d’aventures et de serials, portait à l’écran Fantômas, un personnage de série imaginé par Marcel Allain et Pierre Souvestre. David W. Griffith, aux Etats-Unis à la même époque, proposait les premiers films de gangsters (The Musketeers of Pig Alley, en 1912). Mais l’âge d’or du film policier se situe sans doute dans les années 1940-60 : Raymond Chandler et Dashiell Hammett, deux écrivains américains majeurs, inventent le roman noir et plusieurs titres sont portés à l’écran dont Le Faucon maltais par John Huston. Leur écriture était d’ailleurs “cinématographique”: beaucoup d’images, peu de descriptions psychologiques et une intrigue qui fait la part belle aux dialogues et aux actions des personnages, idéale pour les scénaristes. 

 

Les succès de librairie expliquent pour une bonne part l’engouement du public pour les films policiers. Toujours aujourd’hui, la plupart sont des adaptations de romans, de pièces de théâtre ou de nouvelles (Ne le dis à personne, réalisé par Guillaume Canet, est tiré du roman d’Harlan Coben ; Pars vite et reviens tard, de Régis Warnier, est l’adaptation du livre de Fred Vargas, etc.). Manifestement, le genre plaît et le succès commercial est au rendez-vous. Quelquefois même, un thriller peut accéder aux premières places du box office : je pense notamment au Silence des agneaux de Jonathan Demme qui fut un succès public et critique. 

 

Autant le dire cependant, le passage du livre à l’écran n’est pas toujours excellent ! Mais lorsque le livre devient prétexte et que le réalisateur privilégie une facette du roman pour en faire “son” œuvre, alors l’adaptation est réussie. Je pense à No Country for Old Man des frères Coen tiré d’un roman de Cormac Mac Carthy, voire au Nom de la rose de Jean-Jacques Annaud qui n’a plus qu’un rapport lointain avec la somme d’Umberto Eco. 

 

Le 15e jour: Comment analysez-vous l’attirance du public pour le genre ? 

 

D.T. : Le code est clair : un crime, une enquête, un coupable, et puis des types de lieux et de personnages récurrents. Les films jouent donc sur l’attente des spectateurs. Les modes de narration diffèrent bien sûr : il existe des films “à énigme” façon Agatha Christie – le spectateur suit l’enquête pas à pas et finit par trouver le criminel –, mais il y a aussi des réalisateurs qui privilégient plutôt l’ambiance de l’enquête ou le milieu dans lequel évoluent les protagonistes, policiers et bandits principalement. Hitchcock, par exemple, ne faisait pas grand cas de l’énigme mais faisait monter le suspense. Parfois, ce sont les enquêteurs qui varient : détectives privés et journalistes volent la vedette à la police. Le phénomène est déjà présent dans les années 1940 et Millenium de Stieg Larsson, publié en 2005, reprend l’idée (le premier volet de la trilogie, réalisé par le Danois Niels Arden Oplev, sortira chez nous en mai). 

 

La formule a fait ses preuves : le (télé)spectateur est tenu en haleine et se laisse prendre au jeu de l’énigme ou du suspens. Depuis le milieu des années 1990, on assiste d’ailleurs au retour en force du polar en France, sur un mode réaliste surtout, comme L.627 de Tavernier, MR73 d’Olivier Marchal ou Le petit lieutenant de Xavier Beauvois, des films souvent co-écrits par des anciens policiers. 

 

Par ailleurs, le genre policier est pluriel puisque l’on peut ranger sous la même bannière les films de gangsters, les polars et les films noirs. Tous ont pour dénominateur commun le meurtre ou le crime. C’est un thème qui traverse le temps et l’espace : un pourcentage important des films d’action réalisés aujourd’hui outre-Atlantique sont des thrillers. Ce sont des intrigues qui mobilisent fortement la curiosité et l’identification du spectateur. 

 

 

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Le 15e jour du mois : Le film policier est-il un genre à part ? 

 

Michaël Dantinne : Bien sûr. C’est même un genre particulièrement apprécié par les réalisateurs et les (télé)spectateurs : entre 1966 et 2000, 20% des films tournés aux Etats-Unis concernaient les affaires criminelles. Cette matière a d’abord nourri la littérature – je pense au célèbre Sherlock Holmes de Conan Doyle – et le théâtre, puis le cinéma et enfin la télévision. On peut même parler d’une recrudescence depuis les années 1990, et, si la production américaine est très grande, l’Europe suit le même chemin. Depuis la fin de la guerre froide, le genre policier a pris le relais de celui de l’espionnage en net déclin. 

 

Le film policier est en pleine évolution, me semble-t-il. Jusque dans les années 1970, la violence était peu présente à l’écran ; elle était suggérée, mais il n’y avait pas d’exhibition. A partir des années 1970, on note un virage : dans Inspecteur Harry de Don Siegel avec Clint Eastwood, 600 balles sont tirées dans le film ! Depuis lors, elle s’impose et peut même devenir le sujet principal : Reservoir Dogs, La haine et Tueurs nés ne constituent que quelques exemples de cette tendance qui est aussi caractérisée par une exposition plus systématique des victimes dans leur souffrance, comme dans Saw de James Wan. 

 

Le 15e jour: Comment analysez-vous l’attirance du public pour le genre ? 

 

M.D. : Le secteur du crime a toujours fait recette. Le sujet est par ailleurs idéal pour les séries télévisées : en 42 minutes, nous assistons à un crime et à une reconstitution de l’affaire. Les “bons” et les “mauvais” sont directement identifiables ; l’ensemble est facile à comprendre, à consommer. 

 

Pourtant, cette fiction ne décrit pas du tout la réalité. Non seulement elle “surreprésente” la violence et le nombre de crimes perpétrés dans la société, mais, de surcroît, elle dépeint très souvent l’agresseur comme un psychopathe ou un serial killer inconnu de ses victimes. Or, dans la très grande majorité des affaires de crimes ou de viols, l’agresseur est connu de la victime, voire fait partie de ses proches. Très peu de films par contre concernent les atteintes à la propriété qui constituent cependant la toute grande majorité des plaintes. Et, si c’est le cas, les réalisateurs affectionnent alors les casses minutieusement planifiés… très rares dans les annales policières ! La réalité est bien plus proche de J’aurais voulu être un gangster de Samuel Benchetrit que d’Ocean’s Eleven 

 

Autre distinction encore : la victime “classique”, dans le cinéma américain, est une jeune femme blanche d’une trentaine d’années ; alors que dans les prétoires d’outre-Atlantique, c’est un jeune homme noir de 20 ans. Et il faut noter que la victime est très rarement l’héroïne du film : le personnage central est soit l’enquêteur, soit le criminel. 

 

La fiction policière est donc particulièrement éloignée du réel. La série Les Experts, notamment, propose une image trompeuse de la police scientifique, au même titre que les fictions présentent un taux d’élucidation des affaires criminelles bien supérieur à la réalité. En outre, parallèlement, certaines formes fictionnelles brouillent encore les pistes. Suivre des policiers en activité avec une caméra, est-ce de la fiction ? Pas tout à fait. De l’information ? Pas vraiment. Cela s’apparente sans doute à de l’infotainment, un concept qui rencontre lui aussi un grand succès outre-Atlantique et qui a déjà commencé à infiltrer le marché médiatique européen. 

 

 

Propos recueillis par Patricia Janssens 

 

 

Festival du film policier

 Du 15 au 19 avril au cinéma Palace,  rue Pont d’Avroy, 4000 Liège. 

Victoria Abril sera la marraine de cette édition et Georges Lautner président du jury. 

Programme sur le site www.festivaliege.be . 

Contacts : asbl Idée fixe, tél. 02.346.93.93

  
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