
C’est une évidence, mais il est sans doute bon de le rappeler : les abeilles domestiques et sauvages participent de manière importante à la reproduction des végétaux, dont ceux qui assurent notre nourriture. On estime que dans nos régions, plus de 80% des espèces cultivées sont directement ou indirectement tributaires des insectes pollinisateurs. Or, depuis quelques années, une rumeur court dans les milieux apicoles, selon laquelle un nouveau type de pesticide, appliqué directement sur les semences, serait responsable du taux de mortalité anormalement élevé – ou prétendu tel – observé chez les abeilles domestiques.
Tout commence en 1999. Les apiculteurs belges lancent un cri d’alarme devant les pertes importantes de colonies d’abeilles. En fait, le mouvement était parti de France, les apiculteurs français n’hésitant pas à mettre en cause l’utilisation d’insecticides pour l’enrobage de semences, et plus particulièrement deux d’entre eux, l’imidaclopride et le fipronil. Deux insecticides de nouvelle génération, qui sont le plus souvent appliqués sur les semences elles-mêmes par enrobage.
Devant le manque de données fiables – en Belgique comme en France –, le gouvernement wallon a chargé le Pr Eric Haubruge, directeur de l’unité d’ entomologie fonctionnelle et évolutive de la faculté des Sciences agronomiques de Gembloux-université de Liège, de réaliser une étude complète. Financée par la Direction générale opérationnelle de l’agriculture, des ressources naturelles et de l’environnement, celle-ci a débuté en 2004 et s’est clôturée l’an dernier. Très logiquement, la première étape de l’étude a consisté à dresser un état des lieux de la mortalité des abeilles : était-elle anormale? C’est à la fin de l’hiver, lorsque les apiculteurs raniment leurs ruches, que l’on a constaté l’étendue du problème. Le décompte révélait 15 à 20% de mortalité, des chiffres anormaux par rapport aux pertes naturelles estimées entre 5 et 10%. Il y avait donc bien un problème.
Les chercheurs ont essayé de déterminer les facteurs qui pourraient en être responsables : pesticides, environnement agricole (superficie cultivée, type et diversité des cultures, etc.), maladies, parasites et gestion des ruches par l’apiculteur. « Très rapidement, explique Eric Haubruge, nous avons détecté un coupable : le varroa. Cet acarien se niche sur les abeilles, absorbe leur liquide et les affaiblit. Il fait de même sur les larves dont il aspire le contenu.»
Or la lutte contre ce parasite particulièrement tenace est redoutable et les apiculteurs se sentent démunis face à cet adversaire. Certains ont essayé des traitements au roténone, produit issu de la carotte sauvage, labellisé “bio”. Hélas, utilisé à mauvais escient, ces traitements se sont avérés très nocifs… pour les abeilles et les apiculteurs ! Selon Eric Haubruge et son équipe, les conclusions s’imposent : « Toutes nos enquêtes, analysées statistiquement, montrent une relation claire entre d’une part la présence du varroa et les traitements utilisés et d’autre part la mortalité des abeilles. »
La responsabilité des varroas ne signifie nullement cependant que les pesticides sont sans danger pour les abeilles. « Cela a fait l’objet d’une autre recherche menée en collaboration avec le Pr Edwin De Pauw, du laboratoire de spectrométrie de masse (CART) de l’ULg et Claude Saegerman, du département d’épidémiologie et d’analyse des risques de la faculté de Médecine vétérinaire », explique le Pr Haubruge. Les premiers résultats* révèlent qu’il n’y a aucune relation entre la mortalité des abeilles et la présence de champs de maïs traité avec l’imidaclopride. En tout cas en Belgique.
*Does Imidacloprid Seeds-“Treated Maize Have an Impact on Honey Bee Mortality?” in Journal of Economic Entomology, April 2009.
Henri Dupuis
Voir l’article détaillé sur le site http://reflexions.ulg.ac.be (rubrique Terre/environnement)