Avril 2009 /183
Avril 2009 /183

Sauver la peau des carpes

Nouvelles avancées dans la lutte contre le virus KHV

 

 

Il glace le sang des collectionneurs des carpes Koï – ces poissons d’ornement très appréciés pour leur robe chatoyante -– et décime les élevages de carpes communes, première source de protéines animales pour des centaines de millions de personnes. Le koï herpesvirus (KHV) tue massifement lorsqu’il s’immise dans un groupe de ces poissons, engendrant des dégâts écologiques et économiques considérables.

 

En mai 2008, le laboratoire d’Immunologie et de vaccinologie dirigé par le Pr Alain Vanderplasschen faisait la “une” du Journal of Virology pour le clonage du génome du KHV* sous la forme d’un chromosome artificiel bactérien, une étape qui allait permettre à ce groupe de produire un vaccin (breveté par l’ULg) efficace contre ce virus. Aujourd’hui, le labo remet le couvert en faisant à nouveau la “une” du Journal of Virology

Méthode luminescente

 

Cette fois, les chercheurs ont mis fin à un dogme scientifique concernant la porte d’entrée qu’utilise l’herpès virus pour envahir les carpes Koïs, et communes, et peut-être de nombreux virus qui infectent les poissons. « C’est en voulant vérifier l’efficacité de la protection du vaccin que nous nous sommes rendus compte que le virus se servait, non pas des branchies mais de la peau des poissons comme voie d’accès », indique Alain Vanderplasschen. 

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Pour tester la protection du vaccin récemment mis au point contre le KHV, les chercheurs ont créé un virus recombinant en insérant dans le génome du KHV un gène codant pour la luciférase, une enzyme responsable de la bioluminescence chez la luciole. Lorsque ce virus, génétiquement modifié, pénètre dans une cellule, il y induit l’expression de la luciférase et ainsi l’émission de lumière par la cellule infectée. Cette technique permet de vérifier si les individus vaccinés profitent d’une protection absolue contre le virus. « Souvent les vaccins n’offrent qu’une protection clinique, c’est-à-dire qu’ils évitent aux individus de succomber à l’infection ou d’en souffrir cliniquement, sans pour autant être capables d’empêcher l’infection de l’organisme vacciné qui peut éventuellement propager de manière asymptomatique le virus à d’autres animaux », précise le chercheur. 

 

Après s’être assurés de la virulence du virus recombinant exprimant la luciférase, les chercheurs l’ont introduit dans un bassin de Koï préalablement vaccinées contre le KHV. Et, pour vérifier la qualité de protection du vaccin, ils ont utilisé un appareil – “Ivis” (In Vivo Imaging System) – composé d’une chambre noire et munie d’une caméra ultrasensible à la lumière. Cet appareillage** permet de détecter avec une très grande sensibilité la lumière émise à l’échelle d’une seule cellule. 

 

L’opération a consisté à anesthésier les poissons mis en contact avec le virus, à les placer au sein de la chambre noire et à récolter ensuite les clichés des carpes pris dans l’obscurité. L’analyse de ces clichés a révélé que le vaccin conférait une immunité capable d’empêcher totalement l’entrée du virus dans les carpes. En effet, aucune luminescence n’a été détectée chez les individus vaccinés, ce qui suggère que le virus recombinant utilisé pour le challenge n’a pas réussi à infecter les poissons. Bien entendu, au cours de ce même test, les chercheurs ont utilisé un groupe témoin de Koïs, lesquelles n’avaient pas été vaccinées avant d’être exposées au virus recombinant. Les clichés enregistrés par la caméra ont clairement montré que, contrairement aux individus vaccinés, le virus avait réussi à pénétrer dans l’organisme de ces poissons-témoins et y était détectable dès 12 heures après infection. 

 

« Mais nous avons observé également, continue le chercheur, que la luminescence apparaissait non pas au niveau des branchies comme on s’y attendait – sur base de ce qui est répété sans aucun fondement dans la plupart des articles sur le KHV – mais bien au niveau de la peau recouvrant le corps et les nageoires. Ce résultat prouve que le virus se multiplie dans la peau de son hôte au cours des premières heures de l’infection; il suggère aussi que les cellules cutanées des poissons constituent la porte d’entrée du pathogène. En soi, cette dernière hypothèse n’était pas impossible puisque les cellules les plus superficielles de la peau des poissons sont vivantes, contrairement à celles des mammifères. » 

 

 

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Vérifier l’hypothèse

 

Grâce à un ingénieux système baptisé “U-tube”, l’équipe du Pr Alain Vanderplasschen a pu infecter des poissons par voie cutanée en limitant l’exposition du virus à la partie postérieure du corps du poisson et ainsi démontrer l’hypothèse précitée quant à la porte d’entrée du virus. Cette découverte explique probablement en partie le caractère très contagieux de la maladie. « Dans les premiers jours qui suivent l’infection, les poissons atteints se frottent contres les autres poissons, probablement à cause du prurit occasionné par l’infection, reprend le chercheur. De plus, lorsque des lésions cutanées apparaissent sur les sujets infectés, les sujets sains ont pour habitude de picorer les lésions cutanées de leurs congénères. Ces comportements doivent probablement contribuer à une transmission efficace du virus par contact peau-peau.» 

 

A présent, les chercheurs tentent de déterminer si la perte du mucus qui recouvre naturellement la peau des poisssons facilite l’entrée du virus et étudient par ailleurs un ensemble de gènes du virus afin de cerner leurs fonctions biologiques. Le KHV s’est “frotté” aux chercheurs liégeois et s’y est piqué : il ne sortira pas de l’enceinte de leur laboratoire avant d’avoir totalement satisfait leur curiosité.

 

Audrey Binet 

Photos: ULg - Jean-Louis Wertz

 *Commencées il y a à peine trois ans grâce à un crédit d’impulsion de l’ULg, les recherches du laboratoire sur le KHV s’amplifient. Un succès dû en grande partie au fruit du travail du Dr Bérénice Costes et à une collaboration intense avec le Dr François Lieffrig, directeur de la division guidance et recherche en pisciculture du Centre d’économie rurale de Marloie. D’autres synergies se développent actuellement avec le laboratoire de pathologie du Pr D. Desmecht, le Centre de formation et de recherches en aquaculture (Cefra) de l’ULg, dirigé par le Charles Mélard et le laboratoire de biologie du comportement - éthologie et psychologie animale du Pr Pascal Poncin.

 ** L’appareillage très coûteux a été acquis grâce à un consortium de laboratoires des Prs J. Mainil, B. Losson, D. Demecht, B. Mignon et A. Vanderplasschen)

Article détaillé sur le site http://reflexions.ulg.ac.be (rubrique vivant/médecine vétérinaire) 

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