Novembre 2009 /188
Novembre 2009 /188

Médecine générale

Besoins sociétaux et responsabilité des facultés de Médecine

GietDidierLe 26 septembre dernier, le département de médecine générale de l'ULg réunissait plus de 150 personnes lors d'un colloque sur le thème "Exercer la médecine générale demain : quelle formation à l'Université ?". Une belle occasion pour réfléchir aux besoins sociétaux en santé et aux rôles d'une faculté de Médecine.

Au moment où le président Obama tente d'imposer un véritable système de santé pour tous les Américains, jetons un œil sur la situation médicale en Belgique. Selon la ministre des Affaires sociales et de la Santé publique Laurette Onkelinx, "toutes choses restant égales", la Belgique manquera de plus de 700 généralistes dans dix ans*. Les raisons sont simples : 50% des généralistes actifs ont plus de 54 ans. Dans certaines communes rurales, la pénurie de praticiens est déjà une réalité.

Or les choses "ne resteront pas égales". Les besoins médicaux de la population s'apprêtent à augmenter considérablement. La catégorie des "seniors" (plus de 60 ans) ne cesse de grandir : alors qu'elle ne s'est accrue en Wallonie que de 4946 unités entre 1999 et 2006, cette population affiche depuis 2007 un accroissement annuel à 15 000 unités ! Et le baby boom de l'après-guerre, devenu ainsi le papy boom de notre époque, continuera à marquer les mêmes effets jusqu'en 2050. Parallèlement, on doit s'attendre à une augmentation du nombre de maladies chroniques (diabète, hypertension, maladie d'Alzheimer, etc.). Par ailleurs, la féminisation de la profession de médecin généraliste a des répercussions sur la pratique médicale elle-même. Les femmes - le constat se vérifie partout et gagne aussi une part de la gente masculine - souhaitent réserver du temps à leur vie de famille et, dès lors, limitent leurs horaires professionnels.

Contrairement à une opinion répandue, le numerus clausus - ce dispositif décidé par le gouvernement fédéral pour maîtriser l'accès à l'exercice médical dans le cadre de la Sécurité sociale - est toujours bien en place. En 2008, la Communauté française a mis fin au mécanisme limitant l'accès aux études de médecine qui avait pour objectif de faire correspondre le nombre d'étudiants à celui des numéros Inami délivrés en fin d'études par l'Inami. La situation actuelle veut donc qu'un nombre excédentaire de jeunes diplômés se présentera aux portes de l'Inami dès 2014 pour obtenir un droit d'exercice... Une aberration alors que nous aurons demain plus de malades, plus de maladies chroniques, davantage de personnes (très) âgées et moins de médecins généralistes pour répondre aux demandes.

 

"Il faut favoriser un choix positif pour la médecine générale"

Encore faut-il que les étudiants choisissent la voie de la médecine générale. Or, force est de constater que le cursus en médecine générale souffre d'un déficit de vocations. Sans doute n'est-il pas inutile de rappeler que cette discipline - qui constitue quasiment à elle seule "la première ligne de soins" - est un maillon déterminant de notre système de santé. Sur une année, 75% à 85% des patients ne consultent que des prestataires de la première ligne de soins ; 90% des plaintes émises par les patients sont résolues à ce stade, sans recours aux soins spécialisés. Ce qui est heureux pour les malades... et pour le budget de la Santé, car on sait qu'une même maladie soignée par le médecin de famille coûte bien moins cher que lorsqu'elle est prise en charge à l'hôpital en raison de diverses circonstances.

Au-delà de ces chiffres arides, soulignons que le médecin de famille est particulièrement apprécié des patients : son suivi de proximité, global, personnalisé et qui s'inscrit dans la durée en fait un acteur majeur de la politique de Santé. Et pourtant, la formation des étudiants en médecine se dispense, presque exclusivement, à l'hôpital. Si les jeunes ont l'occasion de visiter de nombreux services de pointe du CHU durant leur cursus, ils n'ont guère l'occasion d'appréhender le quotidien du généraliste. La spécialisation en médecine générale, méconnue, est moins aisément choisie.
Or, demain, le défi majeur sera le maintien à domicile de ces très nombreux patients âgés, atteints d'affections chroniques... Il est grand temps que nos universités forment des médecins prêts à s'investir dans la communauté, dans des réseaux de soins pluridisciplinaires**. Les études de médecine jouent un rôle primordial dans le choix de carrière de ses diplômés : le "modèle de rôle" des enseignants y est important. Il faut impérativement réfléchir à orienter plus nettement la formation médicale vers les soins de première ligne.

 

Bien sûr, d'autres mesures s'imposent encore pour faire en sorte que le médecin généraliste ne quitte pas la profession et, mieux, s'y épanouisse : inventer des formules originales afin de permettre aux jeunes femmes de concilier vie de famille et vie professionnelle, favoriser l'installation de cabinets de groupe, alléger la charge administrative, etc. Adapter la planification de l'offre médicale, favoriser les vocations pour la médecine générale, améliorer le statut et les conditions de travail du médecin généraliste : telles sont les urgences afin que les besoins en santé de notre société soient rencontrés. Les facultés de Médecine sont concernées.

Didier Giet
professeur de médecine générale
département des sciences cliniques (faculté de Médecine) et Institut de formation et de recherche en enseignement supérieur (Ifres)

* Symposium "Towards an evidence-based Workforce Planning in Health Care ?", Bruxelles, 25 avril 2009.
** "Medical schools for the health-care needs of the 21st century", Gibbon W, Lancet, 2007 Jun 30.

L'enseignement de la médecine : quel avenir ?
Conférence-débat organisée par la société médico-chirurgicale de Liège,
le jeudi 19 novembre à 20h.
Avec la participation du Pr Gustave Moonen, doyen de la faculté de Médecine, du Pr Albert Corhay, premier vice-recteur de l'ULg, et de Jean-Claude Marcourt, vice-président du gouvernement de la Communauté Wallonie-Bruxelles et ministre de l'Enseignement supérieur.
Palais des congrès, esplanade de l'Europe 2, 4000 Liège
Contacts : tél. 04.223.45.55, courriel medicochir@skynet.be

 

 

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