Principalement connu pour son roman Adolphe, achevé en 1806 et publié dix ans plus tard, Benjamin Constant (1767-1830) n'a cessé durant la longue période allant de la Révolution française à celle de Juillet 1830 d'intervenir dans le champ politique, tant par ses écrits que par ses engagements. Les uns et les autres témoignent d'une continuité qui fait de lui - bien avant Tocqueville - le chantre de la démocratie libérale en France. Ne fût-ce que par un pressentiment qui n'a cessé de le hanter sa vie durant, à savoir que l'emprise de la souveraineté populaire risquait à terme d'aliéner la liberté individuelle, obsession particulièrement perceptible dans son ouvrage Principes de politique traitant des problèmes du fonctionnement d'un Etat démocratique.
Collaboration européenne
La publication des œuvres complètes de Benjamin Constant comportera entre 45 et 50 volumes, une vingtaine d'entre eux devant être consacrés à sa correspondance. Le siège de cette aventure éditoriale est en Suisse, plus précisément à Lausanne, dont Constant est originaire, la maison d'édition se trouve en Allemagne et les nombreux collaborateurs proviennent des quatre coins de l'Europe. Il est intéressant de constater que l'université de Liège participe d'une manière très remarquable à cet impressionnant chantier. Surtout à l'heure où l'ouverture sur le monde de notre Alma mater est vivement recommandée de toutes parts. Ce n'est cependant pas de cela qu'il est question aujourd'hui, mais d'un aspect particulier de cette contribution liégeoise à l'entreprise. En effet, dans la partie de ces œuvres complètes qui est consacrée à la correspondance générale de l'écrivain, le septième volume vient de paraître*, et le huitième est actuellement en relecture, ayant été préparés notamment par trois professeurs liégeois : Eckart Pastor, Paul Delbouille ainsi que le regretté Robert Leroy.
Plongée passionnante dans l'intimité de l'écrivain, ces volumes 7 et 8 - le second se rapportant aux années 1810, 1811 et 1812 - réservent une place importante aux lettres de Charlotte de Hardenberg. Benjamin Constant avait fait connaissance de cette jeune fille dans sa jeunesse en Allemagne : il en a fait sa maîtresse en 1806 et l'a épousée secrètement en France le 5 juin 1808. S'ensuit un assez long séjour outre-Rhin, mais les ponts avec Mme de Staël ne sont pas encore totalement coupés. Pour la femme légitime de l'écrivain, il est hors de question de laisser le champ libre à l'ancienne amante. D'où ses missives, souvent écrites en allemand, et en gothique qui plus est...
Le décryptage de ces traces manuscrites, truffées d'allusions et de formules amoureuses, n'a pas été sans mal. Il est le fruit d'une étroite collaboration entre nos trois Liégeois : Eckart Pastor en a préalablement assuré la lecture et la transcription en allemand moderne ; Robert Leroy s'est concentré sur leur traduction en français ; Paul Delbouille a pris une part prépondérante à leur datation et à leur commentaire.
Hommage à Robert Leroy
Paul Delbouille - qui assume par ailleurs depuis les origines de l'entreprise la charge de président du comité directeur - parlant de ce huitième volume, précise qu'il sera très bientôt remis à l'imprimeur, en vue d'une parution qui devrait se situer tout à la fin de la présente année ou au début de 2010. Il ajoute que le comité, lors de sa dernière réunion, qui s'est tenue à Lausanne à la veille des vacances, a décidé, eu égard à la qualité exceptionnelle de son travail de traducteur, de dédier le livre à la mémoire de Robert Leroy. Nul doute que cet hommage rendu par un comité international à un professeur liégeois qui fut aussi, rappelons-le, doyen de la faculté de Philosophie et Lettres, ira droit au cœur de tous ceux qui l'ont connu.
Henri Deleersnijder
* Benjamin Constant, Correspondance générale, VII (1808-1809), textes établis et annotés par Paul Delbouille et Robert Leroy, avec la collaboration d'Eckart Pastor, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 2009.