Si Barak Obama avait été soutenu comme un futur président normal, sans qualités surhumaines et exceptionnelles, il serait sans doute aujourd'hui considéré comme un homme qui a correctement et courageusement géré la transition avec son prédécesseur et son lourd héritage : guerres en Irak et en Afghanistan, prison de Guantanamo et de Bagram, vols secrets de la CIA, retour de la torture, vote du Patriot Act, etc. Mais hélas pour Barak Obama, il a été présenté comme un homme providentiel qui allait non seulement présider les Etats-Unis, mais qui en plus allait réconcilier les Américains entre eux, et surtout l'Amérique avec le monde, main dans la main ! Le passage du mythe à la réalité est aujourd'hui douloureux et à bien des égards, Obama doit regretter les attentes irréalistes qu'il a suscitées.
Les actes qui affichent la continuité entre Obama et ses prédécesseurs sont nombreux et déjà anciens, mais ils sont occultés par l'euphorie de la campagne électorale qui semble continuer chez nous de façon presque intacte et permanente au moment où aux Etats-Unis, chez les adeptes du président démocrate, le réveil a sonné depuis longtemps. Au commencement était un choix peu commenté et pourtant lourd de signification : le maintien en fonction du secrétaire de Bush en charge de la défense, Robert Gates, qui succèda à Donald Rumsfeld en 2006. Conserver le même homme dans un domaine aussi stratégique en dit long sur la difficulté, l'impossibilité voire le refus de changer immédiatement en pratique ce qui avait été annoncé dans les discours électoraux. Mais il y a aussi la réticence immédiate du nouvel homme de la Maison blanche vis-à-vis d'une mise en accusation des membres de l'administration Bush impliqués dans le programme de torture de la CIA. Ce choix politique extrêmement décevant aujourd'hui aurait condamné Obama à l'échec s'il avait été annoncé publiquement avant le scrutin de novembre 2008. Ce choix a d'ailleurs ouvert la porte à une série de volte-face qui aboutiront à une même protection pour les bourreaux en charge des "fausses noyades" et autres supplices dénoncés sous les années Bush. Les agents de la CIA qui ont enlevé arbitrairement, enfermé dans des prisons secrètes et torturé parfois jusqu'à la mort des dizaines d'individus aux Etats-Unis, en Europe et un peu partout dans le monde bénéficient aujourd'hui d'une promesse de protection contre d'éventuelles investigations. Et si les choses changent d'ailleurs, ce ne sera pas grâce à Obama mais grâce à la Justice américaine qui pourrait, comme elle l'a déjà fait, ne pas voir les choses de la même manière.
Si la fermeture de Guantanamo a été annoncée, le funeste destin de dizaines d'innocents enfermés arbitrairement depuis des années et envoyés aujourd'hui aux quatre coins du monde, sans réparation ni indemnisation, laisse songeur ! Mais le pire se situe dans la prison de Bagram en Afghanistan, une prison qui n'a rien à envier à Guantanamo, qui ne bénéficie pas de l'intérêt des médias, et dont les prisonniers - près de 600 - ne sont ni inculpés ni assistés par un avocat. Ils n'ont d'ailleurs rien à attendre d'Obama qui n'a pu leur donner plus de garanties sur leur sort que le président Bush. Cette prison qui révèlera à son tour, tôt ou tard, des récits dramatiques - vécus sous Bush et... Obama - demeure dans un pays où les récentes élections truquées et entachées de fraudes massives ne laissent pas espérer un avenir serein pour le peuple afghan. Obama a voté et a fait campagne en faveur de la guerre en Afghanistan et, à ce titre, il est le digne héritier de ce conflit.
Et puis, il y a les fameuses milices privées comme Blackwater qui ont fait la honte des guerres en Irak et en Afghanistan au rythme de leurs actes criminels les plus odieux et de l'impunité dont elles jouissent. Un an après l'élection historique du jeune président, Blackwater et d'autres sociétés privées occupent toujours un rôle de premier plan dans la stratégie américaine en Irak et en Afghanistan, notamment dans la protection du personnel diplomatique.
On pourrait penser que tout ce qui précède est une question de temps mais des décisions dans d'autres domaines laissent au contraire présager une continuité à long terme avec les années Bush. Ainsi, les Palestiniens risquent de ne jamais pardonner au président Obama les propos d'Hillary Clinton annonçant qu'en définitive, après réflexion, le gel des constructions dans les colonies n'était finalement plus une condition préalable à la reprise du dialogue entre Israël et l'Autorité palestinienne. Ce choix politique est pénible pour tous ceux qui pensaient sérieusement que des changements étaient désormais possibles dans cette région du monde. Et dans le même registre, les accusations de partialité de la Maison blanche au sujet du rapport Goldstone sont également choquantes pour tous ceux qui militent en faveur des droits de l'homme et de la paix au Moyen-Orient. Le rapport dénonce les terribles violations du droit de la guerre par Israël et le Hamas dans la bande de Gaza l'hiver dernier. Ces critiques de l'administration au sujet du rapport évoquent un mépris vis-à-vis d'un nombre considérable d'organisations occidentales qui avaient dès le début dénoncé les drames vécus par la population sur un territoire minuscule dont il était impossible de s'enfuir.
On pourrait balayer d'un revers de la main ce qui précède en disant qu'Obama ne peut pas faire beaucoup plus que ses prédécesseurs, et ce serait sans doute vrai ! Car il n'est pas très différent de ses prédécesseurs. Et à ce titre, le jeune président va regretter le mythe qui lui colle désormais à la peau.
Jérôme Jamin
chercheur au Cedem
co-auteur de l'ouvrage Exceptionnalisme américain et droits de l'homme, Dalloz, Paris, 2009