La Fondation pour la recherche et l'enseignement de l'esprit d'entreprendre (Free) a publié un rapport en octobre sur l'entrepreunariat dans les laboratoires et centres de recherche universitaires, les spin-offs.
Regards croisés du Pr Bernard Surlemont, auteur de l'étude, et de Michel Morant, directeur de l'Interface Entreprises-Université.
Le 15e jour du mois : Le rapport Free que vous avez réalisé souligne la faiblesse des spin-offs francophones. Quelles en sont les raisons ?
Bernard Surlemont : Le rapport constate en effet une faiblesse de la croissance des spin-offs, lesquelles restent (trop) souvent de très petites entreprises. Certes, les PME wallonnes sont plutôt "petites" que "moyennes", mais on avait espéré que dans le domaine technologique, l'essor soit plus spectaculaire, d'autant que les spin-offs sont présentées comme le moteur d'un renouvellement économique. Or il n'en est rien. Et le fait que ces spin-offs bénéficiant d'un financement public important affichent des résultats assez modestes en termes de chiffre d'affaires, de valorisation économique et de création d'emplois, ajoute à la déception. Je pense - c'est ce que le rapport dénonce - que nous manquons d'ambition. Certes, par rapport au nombre d'habitants, il y a davantage de spin-offs en Wallonie qu'en Flandre, mais les flamandes sont plus solides. Elles sont entraînées dans l'orbite de deux grands centres de recherche, Imec et VIB, et travaillent en véritable symbiose avec le marché. Les résultats sont là.
Je pense qu'il faut amplifier notre sensibilisation des chercheurs à l'ambition managériale. Les universités aussi y ont intérêt : non seulement les spin-offs favorisent l'esprit d'entreprendre sur le campus, mais elles sont sans cesse à l'origine de nouveaux contrats de recherche.
Le 15e jour : Quelles sont, à votre avis, les priorités à l'heure actuelle ?
B.S. : J'estime que les pouvoirs publics doivent se montrer plus exigeants ! Si l'objectif est la croissance des spin-offs, il faut d'une part constituer des équipes au sein de chaque entreprise et, d'autre part, se doter de moyens sérieux pour valider le business.
La constitution d'une équipe autour du chercheur est primordiale. A l'initiative de la spin-off, celui-ci doit ensuite, impérativement, être épaulé par un entrepreneur, un businessman aguerri qui pourra transformer une belle idée en une entreprise dynamique. Par ailleurs, il est préférable que le conseil d'administration de la spin-off comporte des membres expérimentés, actifs dans le secteur, afin de l'intégrer rapidement dans un réseau de professionnels. En Israël, la sélection des projets est très sévère. Cela donne d'emblée aux spin-offs retenues un label qui donne confiance aux investisseurs. En Région wallonne, on soutient tout le monde à la création, mais il faudrait être beaucoup plus sélectif après deux ou trois ans pour se concentrer sur les projets les plus prometteurs et les mieux profilés. Et ensuite, il faut que le secteur privé se mobilise pour aider les jeunes à conquérir le marché. Mithra - une des belles réussites liégeoises - a très tôt pu compter sur l'appui d'un groupe pharmaceutique. Et les spin-offs de l'ULB, actives dans le monde des biotechs, travaillent souvent avec le soutien de GlaxoSmithKline.
Les pouvoirs publics devraient, à mon sens, accompagner les spin-offs de la création à l'envol, dirais-je, en les incitant à respecter les critères évoqués (équipe, ouverture du conseil d'administration, attractivité pour les capitaux privés). Cela serait certainement positif pour tout le monde.
Le 15e jour du mois : Le rapport Free souligne la faiblesse des spin-offs francophones. Qu'en pensez-vous ?
Michel Morant : Le rapport invoque un manque d'ambition des spin-offs créées dans les universités francophones, en les comparant notamment avec leurs homologues flamandes. Ce constat me paraît pertinent, mais cette lacune dépasse le cadre des spin-offs. Depuis l'avènement des nouvelles économies, la Wallonie se montre plus frileuse en général en matière de création d'activités. Jean-Pierre Delwart, actuel président de l'Union wallonne des entreprises, disait dans son discours inaugural qu'il fallait "redonner de l'ambition aux PME wallonnes". Les entrepreneurs et les investisseurs sont sans doute moins enclins à prendre des risques et beaucoup préfèrent maîtriser seuls "un petit gâteau" que piloter à plusieurs "un gros". Pourtant, je le dis souvent, Bill Gates, patron incontesté de Microsoft, ne détenait que 15% des parts de l'entreprise...
Certes, cette gestion "en bon père de famille" a des avantages. Par contre, si l'on envisage les choses sous l'angle du développement d'une région et de la création d'emplois, la formule montre ses limites. Nous avons besoin d'une ambition collective qui rassemble tous les protagonistes dans une même volonté de dynamisme et de croissance. A cet égard, j'estime que la puissance publique a bien pris la mesure de la situation pour accompagner efficacement les projets. D'une part, elle a mobilisé des ressources publiques pour intervenir dans les fonds propres des starts ups, dont Spinventure bénéficie et, d'autre part, la Région vient de créer un fonds de maturation à destination des interfaces afin d'amener les projets universitaires jusqu'à la "preuve de concept", les rendant "investable". Je pense donc que depuis dix ans le paysage des spin-offs et les outils mis en place ont nettement progressé. C'est dommage que le rapport passe ce fait sous silence.
Le 15e jour : Quelles sont, à votre avis, les priorités à l'heure actuelle ?
M.M. : Nous avons certainement besoin de managers efficaces pour faire grandir les spin-offs. Et cette croissance serait considérablement facilitée par l'apport de fonds privés. Les outils spécialisés, tels Gesval ou Spinventure, jouent un rôle-clef dans la création d'entreprises mais les investisseurs privés font cruellement défaut en Wallonie. En Flandre par contre, il existe un fonds alimenté par des particuliers, disponible pour les jeunes entreprises. Celles-ci bénéficient par ce biais de capitaux mais aussi, surtout, d'un accès privilégié aux réseaux d'affaires. La KUL - une des universités les plus dynamiques d'Europe à cet égard - a tiré le plus grand bénéfice de ces réseaux capables de surcroît d'attirer des capitaux étrangers. Nanocyl, une spin-off liègo-namuroise assez récente, compte Jean Stéphenne, patron de Glaxo SmithKline, parmi ses actionnaires. Cela facilite les contacts avec d'autres hommes d'affaires, des personnes qui constituent des relais précieux pour rassembler les capitaux privés, indispensables partenaires des success stories.
Propos recueillis par Patricia Janssens
Le rapport "Entrepreneuriat académique : entrepreneuriat ambitieux ?" est en ligne sur le site www.freefondation.be.