Le Pr Jacques Boniver est chef du service d'anatomie-pathologie et fondateur de la biothèque universitaire au CHU de Liège.
Lorsqu'un patient est pris en charge, le médecin fait très souvent effectuer des prélèvements (biopsie, ponction, frottis, etc.) afin d'établir un diagnostic précis. Une fois l'analyse terminée, il reste fréquemment du matériel biologique inutilisé, lequel s'avère précieux pour les scientifiques qui s'intéressent soit à une meilleure connaissance d'une pathologie, soit à de nouveaux traitements. D'où l'intérêt de stocker ce matériel dit "résiduel", de l'étiqueter et de le répertorier dans une banque de données accessible aux chercheurs.
Présentes dans toutes les universités belges, les biobanques recèlent des collections d'échantillons d'origine humaine. Tissus, tumeurs et autres frottis congelés ou conservés dans la paraffine constituent en effet un matériel irremplaçable pour la recherche scientifique médicale.
A Liège, plus de 4000 échantillons de tissus humains - essentiellement en provenance du laboratoire d'anatomie-pathologie - sont déjà répertoriés et mis à la disposition du monde scientifique. Agnès Delga vient d'être nommée directrice de cette biobanque, baptisée au CHU de Liège "biothèque" par respect de l'étymologie grecque probablement. Entretien avec son fondateur et responsable, le Pr Jacques Boniver.
Le 15e jour du mois : La biothèque existe depuis 2005 au CHU de Liège. Pourquoi en reparler aujourd'hui ?
Jacques Boniver : Grâce au "Plan cancer" instauré par Laurette Onckelinx, ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, la biothèque bénéficie aujourd'hui d'un financement important pour s'étoffer davantage. La loi du 19 décembre 2008 - dont les arrêtés d'application sont sortis récemment - impose en effet aux hôpitaux de créer, dans un avenir proche, une structure qui chapeautera toutes les procédures qui concernent le matériel corporel humain utilisé soit pour traiter des patients soit pour la recherche scientifique. Cette loi dénomme "biobanque" la structure qui rassemble et gère les collections de matériel résiduel accumulé dans les laboratoires hospitaliers. Lorsqu'il s'agit de tumeurs, on parle de tumorothèque, laquelle fait donc partie de la biobanque. Les laboratoires d'analyses du CHU sont évidemment concernés par cette biobanque, puisque ce sont eux qui réalisent les analyses sur ces prélèvements.
Il est intéressant de noter que la création de la biobanque (biothèque) se fait au moment où, au CHU de Liège, les laboratoires d'analyse se regroupent dans un nouvel ensemble que l'on appelle "Unilab". Il s'agit d'un des projets du plan stratégique du CHU, lequel concerne 250 personnes réparties dans sept services (chimie médicale, toxicologie, hématologie, microbiologie, génétique, anatomie pathologique et dermatopathologie). Des milliers d'échantillons pourraient ainsi, dans un avenir proche, rejoindre les énormes congélateurs de la biothèque.
Les biobanques sont devenues de véritables outils de recherche, notamment dans le domaine de l'oncologie. Et pourtant, il faut encore les faire découvrir aux chercheurs qui ne recourent pas encore assez, à mon sens, à ces trésors biologiques. Question de temps peut-être...
Le 15e jour : Le patient doit-il marquer son accord pour l'utilisation de quelques cellules ?
J.B. : L'utilisation du matériel résiduel, la vérification et l'analyse rétrospective des données cliniques répondent à des règles très strictes. Le comité d'éthique du CHU supervise le fonctionnement de la biothèque et analyse les projets présentés par les chercheurs qui souhaitent faire appel à elle. Ce comité est également chargé de faire respecter les textes légaux en vigueur, notamment ceux qui concernent le droit des patients. A cet égard, la nouvelle loi belge autorise l'utilisation du matériel résiduel à des fins scientifiques dans la mesure où le patient ne s'y oppose pas et dans la mesure également où le protocole de recherche a été approuvé par un comité d'éthique. En ce qui concerne les échantillons prélevés antérieurement à cette loi, je préfère pour ma part demander l'autorisation du patient à qui nous garantissons le complet anonymat. Seules des indications comme le sexe, l'âge, le type de maladie et le traitement sont notées sur la fiche qui accompagne l'échantillon.
L'objectif de la biothèque est bien de conserver un matériel déjà prélevé : il est hors de question, par exemple, d'effectuer des ponctions spécifiques pour la recherche et de faire courir un risque - même minime - au patient. J'ajoute que cet arsenal législatif transpose dans le droit belge des directives européennes relatives au matériel corporel humain, à savoir "tout matériel biologique humain, y compris les tissus et les cellules humains, les gamètes, les embryons, les gonades et fragments de gonades, le tissu fœtal, ainsi que les substances qui en sont extraites, et, quel qu'en soit leur degré de transformation".
Le 15e jour : Des projets pour demain ?
J.B. : Depuis le début de l'année 2009, sept universités belges, dont l'ULg, se sont associées afin de constituer un réseau des tumorothèques universitaires que l'on pourrait qualifier de "biobanque nationale". L'ambition est de mettre en réseau les biobanques universitaires afin de centraliser toutes les informations sur leurs collections de matériel biologique. Aux yeux du chercheur, cette initiative est particulièrement intéressante, notamment dans le cas de tumeurs rares car il faut disposer de multiples échantillons pour mener l'étude, un défi difficile à relever dans un seul hôpital.
La biothèque fait partie d'un plan plus vaste de développement du CHU de Liège, le seul hôpital universitaire de Wallonie, j'aime le rappeler. Dans le plan COS, il est en effet prévu de construire la sixième tour du CHU afin d'y réunir l'Unilab, et donc la biothèque, et un nouveau centre intégré d'oncologie. Ce futur (grand) centre d'activités médicales, à côté du Giga, positionnera clairement le CHU et l'université de Liège sur la carte des grands centres de recherche biomédicale.
Propos recueillis par Patricia Janssens