Depuis les traités instituant la Céca le 18 avril 1951 ainsi que la CEE et l'Euratom le 25 mars 1957, l'ambitieux projet de construction de l'Union européenne (UE) en a connu des avatars, faits d'avancées décisives et de brusques arrêts débilitants. L'étape qu'il vient de franchir en novembre dernier, avec la désignation du premier président permanent du Conseil européen et du haut représentant pour les Affaires étrangères de l'UE et la politique de sécurité, paraît particulièrement prometteuse dans cette lente et longue marche. Ne fût-ce qu'en termes de visibilité au niveau mondial.
Mais face aux 27 Etats membres, quel est exactement le poids politique de ces deux fonctions voulues par le traité de Lisbonne ? Pour répondre à cette question, Quentin Michel, chargé de cours au département de science politique de l'ULg, est plus que nuancé: « Le traité de Lisbonne laisse des zones d'ombre sur la personne qui peut s'exprimer au nom de l'Union. Comme président, Herman Van Rompuy, élu pour un mandat de deux ans et demi, est à la tête du Conseil européen, lequel réunit les chefs d'Etat ou de gouvernement de tous les pays membres avec le président de la Commission. Mais s'il n'a pas l'aval des 27, il ne peut rien. On peut espérer que l'homme fasse la fonction, autrement dit qu'il s'impose, en premier lieu par rapport à Catherine Ashton. »
Cette travailliste britannique, inconnue sur le continent avant d'être choisie par le Conseil européen, petite-fille de mineur nommée "pair à vie" en tant que baronne Ashton of Upholland à la demande du New Labour, détient en effet plus de pouvoirs que le président. « Elle est membre à part entière de la Commission - dont elle deviendra vice-présidente - et présidera le Conseil des ministres des Affaires étrangères, poursuit Quentin Michel. En outre, elle est appelée à gérer quotidiennement les matières qui ressortissent de la politique étrangère et de la sécurité commune. Conséquence de ces attributions, sur la scène internationale et donc auprès des autres gouvernements, c'est elle qui sera l'interlocutrice privilégiée. »
On le perçoit, ces deux nouveaux venus devront au plus tôt définir des règles de conduite entre eux, d'autant que le traité de Lisbonne reste lui aussi peu explicite sur les champs d'intervention spécifiques qui seront ceux de Herman Van Rompuy et de Catherine Ashton. « On est dans un flou artistique. Il est à cette heure bien difficile de savoir comment les compétences vont se répartir entre eux », constate Quentin Michel.
Même impression dès qu'on aborde un point précis au programme de la politique de l'Union : « Au sommet de Copenhague, par exemple, en ce qui concerne le volume de réduction des gaz à effet de serre, qui était habilité à négocier et à prendre les décisions au nom de l'Union européenne ? La Commission y était présente, parce que cela relève des matières environnementales et comporte un caractère communautaire évident. Mais en définitive, et cela risque de se reproduire par la suite dans des domaines tels que les embargos à l'égard de certains pays tiers violant les droits de l'homme, ce sont les Etats qui décident et apposent leur signature. » A croire que l'Union, dans l'optique fédérale qu'avait voulue ses pères fondateurs, n'a à ce jour qu'une existence virtuelle...
Cette restriction mise à part, avec les nouvelles institutions que lui donne Lisbonne, l'Europe vient tout de même de franchir un pas symbolique. « Reste à espérer que les deux nouveaux représentants qui sont maintenant à sa tête parviennent à s'imposer, de quoi la rendre plus présente et plus influente dans le monde », conclut le chercheur. De quoi aussi, est-il permis d'ajouter, faire taire quelque peu les eurosceptiques et atténuer la relative déception des pro-européens convaincus.
Henri Deleersnijder - Photo : J.-L. Wertz