Les événements dramatiques récents en Haïti ont suscité une réaction de solidarité quasi sans précédent dans le monde entier. Notre communauté universitaire s'est, elle aussi, mobilisée, et l'université de Liège a ouvert un compte destiné à soutenir l'université de Haïti (UEH), ses étudiants, ses enseignants et ses chercheurs, en concertation avec le programme de coopération universitaire institutionnelle (CUI) de la CUD et les autorités universitaires locales*.
Haïti (près de dix millions d'habitants) est l'Etat le plus pauvre des Caraïbes. Le pays est considéré par l'ONU parmi les moins avancés de la planète. Il est également classé parmi les 31 "pays absolument prioritaires", c'est-à-dire parmi ceux "qui exigent l'attention et la mobilisation des moyens de la communauté internationale, en raison des crises engendrées par l'enracinement de la pauvreté humaine et par l'absence de progrès, voire des reculs" (PNUD, 2003).
La fatalité s'acharne sur Haïti. Les catastrophes naturelles de toutes sortes - cyclones, inondations, tremblements de terre et autres - s'y succèdent sans répit, ajoutant la détresse et la misère à la pauvreté. La situation politique n'a pas, non plus, servi le pays. Les dictatures des Duvalier ont cédé la place à un régime fragile, soutenu tant bien que mal par les forces des Nations unies qui n'ont pu contenir de fréquents mouvements populaires, parfois violents.
L'UEH a été créée en décembre 1944 dans ce contexte difficile. Dès les années 1950, des manifestations et des grèves sont menées contre la dictature par les étudiants. Ceux-ci créent l'Union nationale des étudiants haïtiens (Uneh). En décembre 1960, le président, qui souhaite contrôler la jeunesse estudiantine, fait voter un décret par lequel il choisit lui-même les membres du conseil de l'université parmi ses partisans. En 1987, l'organisation de l'université est modifiée en profondeur, et l'UEH obtient son autonomie et son indépendance. Ces principes seront inscrits dans la Constitution et introduiront ainsi certains droits, tels que la liberté d'expression (publication et diffusion des recherches, notamment), la liberté académique (choix, entre autres, par l'UEH des enseignants qu'elle souhaite engager), la liberté de gestion (autogestion sur différents points), la liberté financière (gestion du budget, en particulier) et l'inviolabilité de l'espace universitaire.
De nombreuses crises continuent cependant à marquer l'histoire de l'UEH. Les rapports conflictuels entre l'Etat haïtien et le monde universitaire ont connu leur apogée à la fin du premier semestre 2003. Le 5 décembre de cette année, surnommé depuis le "vendredi noir", des partisans du gouvernement et des membres des services de police saccagent les infrastructures de deux Facultés de l'UEH, celle des Sciences humaines et l'Institut national de gestion et de hautes études internationales. Ils agressent physiquement des étudiants, des professeurs ainsi que le Recteur et le vice-Recteur. On considère généralement que ces événements ont précipité la chute du président Aristide, car ils ont provoqué l'alliance des "intellectuels" et du peuple dans le but de pousser Aristide à quitter le pouvoir.
L'université d'Etat d'Haïti est la seule université publique du pays et, partant, la seule institution qui assure un accès démocratique aux études. L'admission en son sein se fait sur base d'un concours d'entrée, et la discrimination "sociale" est donc limitée par rapport à celle existant dans les établissements privés.
Ces preuves de démocratie, concernant les statuts et le fonctionnement de l'institution ainsi que les conditions d'accès aux études, sont exigées de la CUD pour qu'une université puisse bénéficier d'un programme CUI. C'est le cas de l'UEH, depuis une dizaine d'années. Parmi les objectifs du programme figurent l'aide à la relève académique, le renforcement de l'enseignement des sciences de base, l'intensification de l'activité scientifique, le désenclavement informatique, etc. Ces priorités vont, bien sûr, devoir être revues, à la lumière des événements.
Le bilan humain est d'ores et déjà dramatique. De nombreux collègues - dont des amis proches -, de nombreux étudiants ont péri lors du séisme, parfois sous les décombres mêmes de leur Faculté. Les locaux sont en partie ou totalement détruits, et une des premières priorités est l'évaluation technique des bâtiments éventuellement récupérables.
Le destin a voulu que les trois membres du conseil exécutif de l'Université - le recteur Jean-Vernet Henry, le vice-recteur à la recherche Fritz Deshommes et le vice-recteur aux affaires académiques Wilson Laleau -, avec lesquels nous avions préparé le programme quinquennal de coopération 2008-2012, soient épargnés lors de la catastrophe. Il en est de même pour les Prs Raymond Noël et Dominique Janini Eyma, respectivement coordinateur et gestionnaire sud de ce programme.
Dans le deuil que nous vivons et la tristesse que nous éprouvons tous, acceptons cet augure comme un gage d'efficacité et de continuité de l'aide que nous pourrons fournir et qu'attend l'UEH afin de poursuivre sa mission au sein de la société haïtienne, tout en gardant son autonomie et son indépendance par rapport au pouvoir futur, quel qu'il soit.
Pr Roger Paul
Gembloux Agro-Bio Tech-lg, cordinateur CUI-UEH