L'accouchement chirurgical a pris des proportions importantes au Brésil où plus de 40 % des bébés viennent au monde par césarienne, tandis que l'OMS préconise un taux de 15% par pays. Assistante à l'Institut des sciences humaines et sociales, Bénédicte Schoonbroodt consacre sa thèse à ce sujet, dans le cadre - pour le volet amazonien - de la tripartite signée en 2006 entre l'ULg, l'université centrale d'Equateur (UCE) et l'université fédérale d'Amazonas (Ufam).
Recherche anthropologique
Captivée par le Brésil, Bénédicte Schoonbroodt y avait étudié le mouvement des paysans sans terre dans le cadre de sa licence en sociologie. Peu à peu, et suite à la réalisation d'un DEA en anthropologie, son intérêt s'est orienté vers la santé et les pratiques de l'accouchement dans les régions nord et nord est du plus vaste pays d'Amérique latine. « J'ai très vite été interloquée par des parturientes à qui je demandais pour quand était l'heureux événement, raconte la chercheuse. Elles me donnaient la date et l'heure... car tous ces accouchements étaient programmés. » Divers outils méthodologiques dont des entretiens approfondis, des observations, des films ethnographiques, permettent à Bénédicte Schoonbroodt de formuler une explication à ce phénomène.
« J'avais l'intuition qu'un endoctrinement de la part du corps médical expliquait cette propension massive à l'accouchement par césarienne, relate-t-elle. Non seulement il y a pénurie de sages-femmes au Brésil, mais les gynécologues y sont mieux formés à une pratique chirurgicale qu'à l'accompagnement d'un accouchement par voie basse. La césarienne est plus rapide, plus facilement contrôlable, coûte cher et donc offre une meilleure rémunération tout en protégeant le gynécologue d'un point de vue médico-légal. » Ce type d'accouchement se révélerait aussi être un moyen tacite de contrôler la reproduction : il est médicalement déconseillé d'avoir plus de trois césariennes, ce qui limite le nombre d'enfants par femme. De plus, « la ligature des trompes est encouragée et remboursée quand elle est pratiquée juste après une césarienne. »
Mais, à son grand étonnement, la jeune socio-anthropologue découvre que, pour la plupart des césariennes, ce sont les parturientes en milieu urbain et rural, indigènes ou non, de manière consciente et volontaire, qui choisissent l'opération. Auparavant prisée par les personnes très aisées, cette pratique toucherait à présent une grand part de la classe moyenne majoritaire au Brésil. « Par ailleurs, j'ai pu me rendre compte que les Brésiliennes qui effectuent cette demande de césarienne appréhendent l'idée de mener leur grossesse à terme, car cela implique une déformation du corps plus ou moins prononcée ; elles souhaitent de la sorte éviter les vergetures de fin de grossesse ainsi que le passage du bébé par le bas. La peur de la douleur est aussi déterminante dans leur choix, la péridurale étant très peu pratiquée sur place. »
Culte du corps
Au Brésil, eldorado de la chirurgie plastique, le rapport au corps est une valeur culturelle importante. Par ailleurs, les hôpitaux publics manquent cruellement de places ; il est dès lors plus rassurant, voire nécessaire, dans ce contexte de réserver un lit en planifiant son accouchement. « La question du coût n'intervient pas dans le choix des parturientes brésiliennes : soit leur césarienne en hôpital privé est entièrement couverte par une assurance privée dont la cotisation n'excède pas ou peu celle de base de nos mutuelles de santé, soit elles bénéficient du système unique de santé universel et gratuit en accouchant en hôpitaux publics sans frais. » En terrain amazonien, là où les sages-femmes traditionnelles accompagnent les naissances par héritage familial et/ou par don, certaines parturientes indigènes choisissent aussi la césarienne, ce qui n'empêche pas la pratique de certains rituels au retour dans la communauté.
« Sans doute les deux explications se conjuguent-elles, conclut la chercheuse. La pression des services d'obstétrique renforce la conception de l'accouchement intégrée par la population. » Dans un tel contexte, des organisations de la société civile se mobilisent pour une humanisation de l'accouchement et une sensibilisation à ce problème de santé publique.
Bérénice Vignol
| L'ULg et le Brésil : déjà quatre ans d'échanges La tripartite signée entre l'université de Liège (à l'initiative du Pr Jean Marchal), la Universidad Central del Ecuador (UCE) de Quito et la Universidade Federal do Amazonas de Manaus (Ufam) prévoit quatre volets de coopération : le transport fluvial, la biotechnologie, la littérature et les sciences sociales. C'est bien sûr dans le cadre de ce dernier volet que Bénédicte Schoonbroodt collabore avec des anthropologues de l'université d'Amazonas. Elle a bénéficié de contacts et d'échanges scientifiques lui permettant d'élargir ses perspectives de recherche sur l'Amazonie. Sur place, la chercheuse a dispensé des cours et donné une conférence dans les domaines de l'anthropologie de la santé et de la naissance. Elle termine un rapport sur les différentes possibilités de coopération avec le département d'anthropologie de l'Ufam, en plein développement. |