On l'a perchée dans un ancien fenil, vaste comme un parking, à deux pas du petit resto de la faculté de Médecine vétérinaire. Entre les ballots de paille que l'on décharge en contrebas et le trot régulier d'un cheval que l'on entend vaguement claquer sur le bitume gelé, trois rangées d'escaliers suffisent pour dénicher la nouvelle caverne d'Ali Baba du département des sciences des denrées alimentaires (DDA). Celui-ci vient d'emménager partiellement dans un laboratoire flambant neuf, gros d'une vingtaine de salles où l'on attend encore religieusement une poignée de machines dernier cri. Entièrement financée par l'ULg après une décennie de tergiversations, cette unité expérimentale (unité-pilote de transformation agroalimentaire), qui sera inaugurée le 24 mars prochain, manifeste une triple ambition : scientifique, pédagogique et de prestation de services.
« Il est de plus en plus fréquemment réclamé aux producteurs agroalimentaires de démontrer leur maîtrise des dangers chimiques et microbiologiques, explique le Pr Georges Daube, figure de proue du département des sciences des denrées alimentaires pour ce projet et spécialiste de la microbiologie des aliments. Les dangers alimentaires proviennent pour une part des matières premières qui interviennent dans la composition du produit : c'est, par exemple, le cas de Salmonella. D'autre part, les aliments peuvent se trouver contaminés par le personnel ou par l'environnement. Or, on ne peut faire courir aucun risque au consommateur : on parle ici de germes parfois capables de tuer. »
Nos procédés industriels, tels que la cuisson et la conservation, ont pour but de diminuer ou de stabiliser la charge en micro-organismes des denrées alimentaires et, partant, d'en atténuer autant que possible les dangers pour le consommateur. « Seul hic, reprend Georges Daube, les industriels agroalimentaires refusent absolument d'introduire chez eux à des fins expérimentales le moindre agent pathogène pour en tester la maîtrise à différents stades de la préparation des aliments. On peut les comprendre. C'est donc notre département - qui a jusque-là surtout rendu maints services à l'Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca), en réalisant des expertises en laboratoire sur des produits finis - qui s'est proposé. Mais nous étions, en l'absence de structure expérimentale au sein de l'Université, continuellement dépendants du secteur industriel. »
Financée à hauteur de 1,5 million d'euros dès 2007, la nouvelle unité expérimentale - qui sera mise, au besoin, à la disposition des entreprises - sera désormais en mesure de passer à la loupe un processus complet de fabrication des aliments. Et non des produits finis, figés à une étape donnée du parcours. « Nos laboratoires évalueront l'efficacité des procédés industriels, poursuit le professeur. Par exemple, on verra si, en augmentant la température de cuisson ou en adaptant le type de conditionnement pour maîtriser les dangers microbiologiques, on ne modifie pas trop la qualité du produit. Nous gardons en mémoire le fait que le consommateur actuel recherche des aliments de haute qualité organoleptique. »
Dans l'ancien fenil, totalement biosécurisé (doté d'un coûteux Bio Safety Level 2+ : sas en dépression, passe-échantillons à quelque 3000 euros la pièce), avec certains locaux maintenus à 12° au maximum, une salle en particulier servira à la préparation des aliments : de la cuisson à la fumaison en passant par le séchage et la pasteurisation. « L'évaluation qualitative des risques est devenue une discipline de pointe », fait remarquer le microbiologiste, en glissant fièrement que cette "mini-usine" est au moins une première en Belgique, sinon en Europe. De quoi prédire, fût-ce en le brossant à gros traits, un avenir radieux à cette unité d'expérimentation.
« Cette unité vient à point nommé pour les projets de recherche du pôle de compétitivité agro-industrie Wagralim du plan Marshall, résume Georges Daube. Nous nous attendons à être sollicités par le secteur industriel et à entamer des collaborations avec de grands centres internationaux. Nous nous apprêtons à être candidat sur des projets d'envergure européenne. » Les étudiants de la Faculté, et les mémorants en particulier, ne seront pas en reste : la création de cette nouvelle unité est porteuse d'un double intérêt, scientifique mais aussi pédagogique, puisqu'ils pourront bientôt aller y observer en conditions réelles les méthodologies de maîtrise de la qualité et de la sécurité utilisées par le secteur agroalimentaire, méthodologies qui ne leur étaient jusque-là présentées que théoriquement. Par ailleurs, ceux qui réalisent un mémoire expérimental pourront aussi y développer ou tester des procédés innovants. C'est dire si elle servira abondamment. Nul ne sait encore, cependant, qui fera la vaisselle...
Patrick Camal
| Inauguration de l'unité-pilote de transformation agroalimentaire, le mercredi 24 mars à 17h. Contacts : tél. 04.366.40.40, site www.dda.ulg.ac.be |
| Spin-offs L'ambition du département des sciences des denrées alimentaires ne date pas d'hier, puisqu'à ce jour il compte dans ses rangs trois spin-offs : Quality Partner, Food Safety Consult et DNA Vision AgriFood. « Dans ce contexte, avec notre nouvelle unité d'expérimentation, nous nous repositionnons en amont, dans la recherche de pointe », explique le Pr Daube. La première spin-off, établie à Herstal, prend en charge l'inspection et la certification de plus de 2000 clients actifs dans le secteur agroalimentaire, dont des incontournables comme Sodexo ou Delhaize. Créée en 2000 à l'initiative de Georges Daube sur fonds publics et privés, Quality Partner a fait de l'analyse microbiologique son core business et compte désormais une petite cinquantaine d'employés, soit 15 fois plus qu'à l'origine. En 2003, à la demande de producteurs internationaux de produits cosmétiques, Quality Partner a également développé un laboratoire de microbiologie spécialisé dans le domaine. Depuis 2003, Food Safety Consult dispense quant à elle des conseils et des formations dans le domaine agroalimentaire. Cette société de consultance, qui dénombre actuellement une dizaine d'employés, est le principal conseiller technique des fédérations sectorielles et un acteur incontournable dans les entreprises. Elle s'est d'ores et déjà exportée en Algérie. Enfin, 85e spin-off de l'ULg, DNA Vision AgriFood a vu le jour en 2008. Elle résulte de la rencontre de DNA Vision, une spin-off de l'ULB, et du laboratoire des denrées alimentaires de l'ULg. Elle réalise des diagnostics et des recherches appliquées en génétique et en génomique pour le secteur agroindustriel et pour les applications médicale, vétérinaire et alimentaire de la microbiologie. Voir les sites www.quality-partner.be, www.foodsafetyconsult.com et |