Mars 2010 /192
Mars 2010 /192

De l’air pour la terre

Les flux de carbone restent une préoccupation des chercheurs

Si les deux gigantesques puits de carbone que sont les océans et la végétation n'existaient pas, la planète Terre ne serait qu'un brûlot invivable pour la plupart des espèces. A eux seuls, ils parviennent à capter et à recycler la moitié du gaz carbonique d'origine anthropique émis dans l'atmosphère, responsable - avec d'autres gaz - du réchauffement du climat. Mais qu'en sera-t-il demain ?

Grâce à CarboEurope, un réseau qui regroupe une centaine d'institutions scientifiques dans l'Union européenne, on sait que les écosystèmes terrestres du Vieux Continent (Russie incluse) séquestrent environ 205 téragrammes de carbone par an. Soit, pour être plus concret, 12 % des émissions totales de CO2 ou 70 % des émissions liées au transport terrestre en Europe. C'est loin d'être négligeable !

Respiration du carbone

Les forêts séquestrent deux à trois fois plus de carbone que les prairies. Le Pr Marc Aubinet, qui dirige depuis près de dix ans l'unité de physique des biosystèmes de Gembloux Agro-Bio Tech-ULg et deux stations de mesure intégrées à CarboEurope (à Vielsalm en Ardenne et à Lonzée en Hesbaye), invite à bien mesurer l'importance de ces récentes quantifications de flux de carbone. « Ce qui rend ces bilans carbonés si difficiles à établir, c'est qu'ils résultent de deux processus antagonistes : d'une part, la photosynthèse et la fabrication de la biomasse et, d'autre part, la respiration du carbone par les plantes et les micro-organismes avec une libération dans l'atmosphère. »
 A noter que même les forêts anciennes (plus de 100 ans) continuent à stocker le carbone.

Mais qu'en sera-t-il lorsque la température de la planète augmentera de 2, 3, 4, voire 5 ou 6 degrés d'ici à 2100 ? « Lors de la sécheresse de 2003, au lieu de séquestrer le carbone, les écosystèmes terrestres européens ont relâché dans l'atmosphère 500 tg de carbone, soit une quantité à peu près équivalente à celle qui est normalement séquestrée au cours de deux années et demi », constate Marc Aubinet. Peu rassurant...

Les zones d'ombre subsistent pourtant. Ainsi, paradoxalement, l'année 2003 s'est soldée, à Vielsalm, par l'une des plus importantes séquestrations de carbone des 13 années étudiées. L'équipe du Pr Aubinet a aussi observé des fluctuations importantes dans les flux de carbone d'une année à l'autre : de 3,8 à 6,4 tonnes par hectare par an.

Les cultures méritent une attention particulière. A l'instar des forêts, elles séquestrent le carbone dans des quantités non négligeables. Mais le carbone emprisonné est exporté lors des récoltes annuelles. Consommé essentiellement à des fins alimentaires, il est rapidement relâché dans l'atmosphère. Au total, les cultures européennes constituent donc des sources nettes de carbone. A Lonzée, les chercheurs de Gembloux ont remarqué d'importantes fluctuations annuelles dans la séquestration brute de carbone. De 4,96 tonnes par hectare en 2005, le taux de carbone séquestré dans les parcelles de blé est monté à 5,63 tonnes en 2007. Etrangement, alors que 2007 a affiché un excellent score de séquestration de carbone, on y a connu les rendements les plus mauvais de la période étudiée.

Pratiques agricoles en question

Pourrait-on, un jour, modifier les pratiques forestières et agricoles dans le but d'augmenter la séquestration potentielle de carbone dans les écosystèmes terrestres ? Selon le Pr Aubinet, ce n'est pas complètement exclu. « Les techniques de travail de sol allégé pourraient mener à augmenter la séquestration du carbone dans les sols agricoles. Par ailleurs, une voie comme la fabrication de biocarburants de deuxième génération, qui requiert d'exporter les résidus de cultures (les "pailles") pour les brûler dans des moteurs ou des chaudières, peut paraître a priori prometteuse dans le débat énergétique. Mais quel serait l'impact final sur les flux de carbone entre le sol et l'atmosphère, sur les flux des autres gaz à effet de serre, peu connus (méthane, oxyde nitreux), et sur la fertilité du sol ? » Des pans entiers de recherches à long terme restent à couvrir.

Quant aux prairies, dont on sait qu'elles séquestrent des quantités appréciables de carbone dans les sols, les chercheurs se demandent quel serait l'effet, sur la séquestration, d'une généralisation du pâturage extensif ou de la transformation d'une pâture à bovins en une prairie de fauche. Pour répondre à ces points d'interrogation, il reste à espérer que les Etats membres de l'Union garantiront une succession digne de ce nom à CarboEurope, bientôt clôturé après 15 ans de bons et loyaux services...

Philippe Lamotte

Voir l'article complet sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Terre/environnement)

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