Mars 2010 /192
Mars 2010 /192

Microfossiles, mais costauds

Des preuves de vie vieilles... de 3,2 milliards d'années !

L'on savait que la vie était apparue très tôt sur la Terre, mais les scientifiques ne s'accordent pas sur la date exacte. Il est toutefois communément admis de la faire remonter à la fin de l'Archéen (la période médiane du Précambrien), autour de 2,7 milliards d'années. Au-delà, la controverse fait rage. Mais pour la première fois, une équipe composée de scientifiques des universités du Kansas et du Manitoba ainsi que de la biologiste et géologue spécialisée en micropaléontologie de l'université de Liège Emmanuelle Javaux a découvert des microorganismes, de taille relativement grande, cohabitant avec des tapis microbiens dans la zone photique (encore accessible aux rayons du soleil) de milieux marins côtiers datant de... 3,2 milliards d'années* ! En clair : des preuves incontestables de vie remontant à cette époque.

Prudence

Résumons-nous. Il y a 4,5 milliards d'années apparaissent au sein du système solaire les premières planètes telluriques, dont la Terre, Mercure, Vénus et Mars. L'oxygène est, quant à lui, apparu sur la Terre il y a environ 2,5 milliards d'années. Quant aux premières manifestations de vie terrestre qui ne soient pas soumis à controverses, elles remontent à 2,7 milliards d'années, les colonisateurs primaires de la Terre étant les bactéries et les archées, que l'on nomme les procaryotes car elles ne disposent pas de noyau, et les eucaryotes, ces organismes uni- ou multicellulaires disposant, eux, d'un noyau et qui remontent à 1,9 milliard d'années. Dans ses recherches, Emmanuelle Javaux s'intéresse précisément à ces petits organismes, tâchant plus précisément de savoir et de comprendre quand et comment ces trois groupes sont apparus et ont évolué sur Terre. « C'est un domaine de recherche très "chaud", reconnaît la chercheuse liégeoise. Dans tout ce que l'on produit, la prudence est de mise, car beaucoup de recherches sont remises en question, voire rejetées par la communauté scientifique. » Et c'est précisément ce qui fait la force de sa dernière découverte, dont les résultats sont parus dans la prestigieuse revue Nature.

Sa découverte, Emmanuelle Javaux la doit notamment à un choix initial judicieux. Son idée était en effet de récupérer des roches à grains fins - dites siliciclastiques - prélevées dans des shales et des siltstones du Groupe Moodies, à Barberton en Afrique du Sud, qui sont les plus anciens dépôts terrigènes alluviaux et côtiers montrant une influence des marées. Ces roches siliciclastiques sont par ailleurs généralement moins étudiées par la plupart des spécialistes du début du Précambrien, lesquels travaillent davantage sur les roches calcaires ou les cherts (silex). Après avoir caractérisé l'environnement des cellules fossilisées contenues dans ces roches, il a fallu prouver qu'il s'agissait bien de structures organiques et que ces matières organiques avaient la même maturité que les roches dont elles avaient été extraites, afin d'écarter la possibilité d'une éventuelle contamination.

Une découverte majeure

« A ce stade, s'enthousiasme Emmanuelle Javaux, nous savions que nous étions en présence de structures carbonées datant de 3,2 milliards d'années provenant d'environnements marins. » Les chercheurs vont alors multiplier les analyses, notamment pétrographiques, géochimiques et microscopiques, pour évacuer toute contestation et prouver qu'ils étaient bien en présence de microfossiles à paroi organique datant de plus de 3 milliards d'années ! « Ce qui est réellement remarquable dans cette découverte, c'est évidemment l'âge de ces microfossiles, mais également leur taille et leur état de préservation, conclut Emmanuelle Javaux. Elle atteste en tout cas de l'évolution d'un écosystème côtier relativement diversifié à l'Archéen, et pourrait suggérer qu'une certaine complexité biologique aurait pu apparaître beaucoup plus tôt qu'on ne le pensait. »

Frédéric Moser
Voir l'article complet sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Terre/géologie).

* "Organic-walled microfossils in 3.2-billion-year-old shallow-marine siliciclastic deposits", article publié dans la revue Nature, Advance Online Publication (AOP),
7 février 2010.

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