Mars 2010 /192
Mars 2010 /192

BHV

L'arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV) risque de faire la "une" des quotidiens dans les prochaines semaines. Jean-Luc Dehaene devrait en effet remettre un rapport sur BHV au Premier ministre avant Pâques. Regards croisés sur trois lettres qui occasionnent des débats passionnés, de Catherine Lanneau, chargée de cours au département d'histoire (faculté de Philosophie et Lettres), et de Pierre Verjans, chargé de cours au département de science politique (faculté de Droit).

LanneauCatherineLe 15e jour du mois : Depuis les tensions politiques de 2007-2008, les citoyens ont eu l'impression que les différends communautaires s'étaient calmés. Pour mieux ressusciter ?

Catherine Lanneau : Le sujet n'est effectivement plus dans l'actualité brûlante à l'heure où je vous parle. On attend les pistes que formulera Jean-Luc Dehaene. La crise financière semble avoir relégué au second plan cette question qui n'est pas, du moins pour le citoyen lambda, vraiment essentielle. Les médias ont en outre été très accaparés par les catastrophes qui se sont succédé depuis le début de l'année et, de plus, l'absence d'élections à très court terme se traduit par une certaine sérénité dans le débat politique. Ne nous leurrons pas cependant : tôt ou tard, la scission de l'arrondissement électoral de BHV va réapparaître dans l'agenda politique et médiatique.

Notez que cela fait quelque temps qu'on en parle. Depuis la fin de la Première Guerre mondiale et les lois de 1921 puis 1932 établissant une frontière linguistique (à ce moment révisable), la Flandre a une obsession : établir un territoire flamand homogène et unilingue. En 1962-1963, les lois Gilson fixent le tracé de la frontière linguistique de manière intangible. Mais BHV relève déjà de l'exception puisque l'arrondissement est "à cheval" sur la Flandre et la zone bilingue. En 1977-1978, le gouvernement de Léo Tindemans était presque arrivé à un accord politique pour régler le problème (les francophones de BHV auraient été, en quelque sorte, considérés comme des Bruxellois d'un point de vue électoral), mais le Premier ministre a fait marche arrière, craignant probablement une réaction négative de la part du Conseil d'Etat et plus sûrement un satisfecit affiché par la Volksunie. Le gouvernement de l'époque a démissionné.

Au milieu des années 90, alors que s'opère la scission de la province du Brabant, le casse-tête BHV a réapparu. Certains partis flamands ont fait appel à la Cour d'arbitrage, laquelle ne s'est pas opposée au maintien du statu quo. Cette attitude a cependant évolué puisque, en mai 2003, la même Cour a enjoint le gouvernement à trouver une solution... dans les quatre ans. Il est vrai que des modifications étaient intervenues dans notre système électoral puisque les arrondissements électoraux coïncident maintenant avec les provinces. Le cas BHV fait à nouveau figure d'exception.

Le 15e jour : La scission de BHV mènerait-elle inévitablement à la disparition de la Belgique ?

C.L. : Pas forcément. Disons que l'une des dernières "passerelles" disparaîtrait et que la frontière linguistique acquerrait encore un peu plus d'étanchéité. J'imagine cependant que cette scission, qui semble difficilement évitable, ne se fera pas sans compensations. Les francophones pourraient revendiquer l'élargissement de Bruxelles-capitale, c'est-à-dire l'intégration à cette Région de(s) communes "à facilités", majoritairement habitées par des francophones (sans doute entre 60 et 80% de la population)... ce qui est totalement inimaginable aux yeux des Flamands qui ne veulent pas céder un pouce de leur territoire.

Alors la fin de la Belgique ? Vraisemblablement pas à court terme, mais bien un fossé (encore) plus large entre les deux grandes communautés. Je ne pense pas néanmoins que la classe politique prendra le risque d'ouvrir la boîte de Pandore cette année. Dans quatre mois, la Belgique sera présidente de l'Union européenne et il ne serait guère flatteur, alors que tous les yeux seront tournés vers elle, que Bruxelles risque une crise gouvernementale majeure...

 

VerjansPierreLe 15e jour du mois : Depuis les tensions politiques de 2007-2008, les citoyens ont eu l'impression que les différends communautaires s'étaient calmés. Pour mieux ressusciter ?

Pierre Verjans : Indéniablement, les tensions se sont dissipées... grâce à la crise bancaire ! Les négociations menées par Yves Leterme et Didier Reynders avec les gouvernements français et hollandais durant le dernier trimestre 2008 ont mobilisé toutes les attentions et toutes les énergies. En 2009, il a fallu affronter la crise économique et le gouvernement a relevé ses manches pour faire face au défi, remisant ainsi les problèmes communautaires (et singulièrement la scission de l'arrondissement électoral de BHV) au second plan. 2010 sera-t-elle l'année de tous les dangers ? Je n'en suis pas certain.

La Belgique estime ne pas pouvoir en effet prendre le risque d'être en "instance de divorce" au moment où elle prendra la présidence de l'Union européenne. C'est une question de prestige et de crédibilité vis-à-vis des autres capitales. Entre le 1er juillet et le 31 décembre 2010, j'en suis persuadé, il n'y aura pas de turbulence interne. Faut-il alors décider de la scission de l'arrondissement électoral avant cette date ? Les Flamands l'espèrent, mais les francophones ne sont pas du même avis et ils peuvent encore utiliser des dispositifs juridiques qui reporteront l'examen du dossier... en 2011, c'est-à-dire à quelques mois des élections législatives. Ce qui risque de ne pas être un très bon moment.

Le 15e jour : La scission de BHV mènerait-elle inévitablement à la disparition de la Belgique ?

P.V. : Ce n'est pas sûr. Au fond, que demandent les Flamands ? La scission de l'arrondissement électoral de BHV (pour les élections des députés, des sénateurs et des députés européens), comme le prévoit une interprétation de l'arrêt de la Cour d'arbitrage de mai 2003 (les francophones disent qu'il suffit de revenir aux découpages en arrondissements). La classe politique flamande veut clarifier la frontière linguistique, c'est-à-dire aussi fixer les limites des politiques régionales. Politiquement, ils sont même prêts à perdre deux sièges à Bruxelles pour ce faire.

Les partis francophones se sont très vivement opposés à cette volonté, estimant que cette (nouvelle) exigence constitue un pas supplémentaire vers la dislocation de la Belgique. Les politologues flamands que je connais assurent cependant que la majorité de la population flamande - chefs d'entreprises en tête - ne veut pas de la disparition de l'Etat belge, ce qui est aussi l'opinion des partis politiques (hormis la NVA et le Vlaams Belang). C'est probable, mais je pense que les hommes politiques sont engagés dans une dynamique centrifuge, qui pourrait s'avérer dangereuse si l'on suit cette logique jusqu'au bout.

Il est évident que les Flamands veulent imposer chez eux le modèle économique anglo-saxon (ou scandinave), basé sur une plus grande flexibilité du travail, une sécurité sociale moindre, une faible intervention de l'Etat, etc. Ils veulent accroître leur richesse. Mais, politiquement, la Flandre a besoin de l'Union européenne et de sa monnaie... Or, si la Belgique implose, la Flandre, en tant que nouvel Etat, devrait être admise par les pays membres eux-mêmes, aux prises avec certaines forces centrifuges : la Corse en France, l'Ecosse en Grande-Bretagne, le Pays basque en Espagne, le nord de l'Italie, etc. Bref, il n'est pas certain que la position flamande, dans ce cas de figure, serait considérée comme un exemple au sein de l'Union. La logique séparatiste flamande atteint ici ses limites.

En tout état de cause, la scission de l'arrondissement électoral de BHV ne constitue pas, à soi seul, un élément déterminant pour l'avenir de la Belgique.

Propos recueillis par Patricia Janssens

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