« La maîtrise du français des étudiants baisse d’année en année », « Ils ne savent plus lire / écrire / s’exprimer… », « Leur méconnaissance de la langue maternelle est une des principales causes d’échec à l’université » : ces remarques que l’on entend souvent lors des délibérations et des conseils des études m’embarrassent toujours. Non pas qu’elles soient sans fondement, et qu’il n’y ait pas de quoi s’inquiéter, mais parce qu’il est nécessaire de les relativiser, de les nuancer et surtout d’y proposer des remèdes, ici et maintenant, sans renvoyer le problème aux seuls étudiants concernés et encore moins à leurs enseignants du secondaire ou du primaire.
Avant tout, rassurons-nous : c’est depuis toujours et partout que les professeurs se plaignent de la mauvaise maîtrise de la langue de leurs élèves. Par ailleurs, cette maîtrise, loin d’être monolithique, repose sur une complexité de facteurs et se manifeste sous une variété de modalités difficiles à départager, à évaluer, parmi lesquelles l’orthographe n’a qu’un rôle secondaire, en dépit de l’importance emblématique, sociale qu’on lui accorde. Dans l’absolu, les jeunes n’utiliseraient donc pas moins bien, mais autrement la langue et les moyens de communication auxquels elle est associée.
Les relations entre cette maîtrise et la réussite universitaire, encore à approfondir, sont en tout cas essentielles puisque langue et cognition ont partie liée dès la naissance et que de leur bonne articulation dépend l’acquisition d’autres savoirs, sans parler de l’influence des facteurs psychologiques (motivation), contextuels (milieu socioculturel), stratégiques (méthodes de travail). D’où le risque, dans l’évaluation, d’imputer un problème à une mauvaise cause ou de sanctionner deux fois l’étudiant pour la même faiblesse, et d’aggraver ainsi une injustice sociale ; d’où l’intérêt, dans l’enseignement, y compris supérieur, de combiner étroitement langue et discipline.
« Ce n’est tout de même pas à l’université d’enseigner le français à ses nouveaux étudiants ! », entend-on rétorquer. Il n’est évidemment pas question “d’enseigner” le français, mais de le perfectionner, de l’instrumentaliser, de le spécialiser. Compte tenu des changements sociaux, culturels, éducatifs, le public des universités – heureusement plus varié – n’est plus le même que celui des générations précédentes. Il serait étonnant, dans ces conditions, que ne se soit pas accentuée la différence entre le langage et les discours pratiqués à l’université, forcément plus conservateurs, et ceux, forcément plus évolutifs, pratiqués par les jeunes adultes qui s’y rendent.
Dès lors, le premier service à rendre aux étudiants est de leur faire prendre conscience de l’importance de la maîtrise de leur langue maternelle (alors que l’accent est généralement mis sur les langues étrangères) pour leurs études et leur carrière, quelles qu’elles soient, et de les informer de la nature des spécificités et des exigences linguistiques de l’enseignement supérieur que leurs professeurs n’explicitent pas toujours pour cette raison que… « cela va sans dire ». Il convient également de répandre cette bonne nouvelle que la connaissance d’une langue (maternelle ou étrangère) est à tout moment perfectible et adaptable à des circonstances ou à des besoins nouveaux… pour peu qu’on (s’) en donne l’occasion et les moyens.
“La maîtrise du français est un facteur-clef
pour la réussite universitaire”
Dans cette perspective, l’Institut supérieur des langues vivantes (ISLV, principalement Marielle Maréchal, responsable de projet, et Frédéric Saenen) propose depuis 15 ans aux jeunes étudiants des tests de maîtrise du français dont les résultats leur sont communiqués confidentiellement, accompagnés de conseils et d’outils pour remédier aux éventuelles faiblesses détectées. Le Recteur souhaite d’ailleurs rendre ce test-diagnostic linguistique obligatoire dès la rentrée prochaine (via MyULg) pour que tous les étudiants profitent de ce service d’aide à la réussite. L’ISLV organise aussi, notamment en collaboration avec le service guidance-études, plusieurs types de formation tout au long de l’année (activités préparatoires, “A deux pas des examens”, “Le mémoire en quatre étapes”, MIT médecine, etc.) et participe à de non moins nombreux projets pédagogiques avec l’enseignement secondaire1, académiques2 et scientifiques3.
La journée d’études organisée le samedi 27 février dernier aux amphithéâtres de l’Europe a représenté une étape importante pour ces activités en faveur de la maîtrise de la langue française. D’abord parce qu’elle a confirmé le profit du partenariat que l’ULg a engagé depuis 2005 avec plusieurs Hautes Ecoles de Liège et de Bruxelles dans le cadre du “Groupe Efes” (Evaluation du français pour l’enseignement supérieur) ; ensuite, parce que de nouveaux développements sur le plan de l’évaluation et de la remédiation y ont été envisagés avec le concours des ministères concernés par l’enseignement secondaire et supérieur, de manière à assurer la meilleure transition possible entre les deux niveaux.
Jean-Marc Defays
directeur de l’ISLV
faculté de Philosophie et Lettres
1 La maîtrise du français, du niveau secondaire au niveau supérieur, De Boeck-Duculot, Bruxelles, 2000 ; didacticiel Franciel.
2 Les projets Mohican, Euclide, Admee, CDS.
3 cf. Discours universitaires : formes, pratiques, mutations, L’Harmattan, 2009.