Avril 2010 /193
Avril 2010 /193

Influenza : virulence au pluriel

Une meilleure compréhension pour une meilleure thérapie

InfluenzaLes pneumonies virales fatales dues aux virus de la grippe (influenza) obéissent à un scénario standard. C’était du moins l’état de la recherche jusqu’à ce qu’un laboratoire de l’université de Liège, dirigé par le Pr Daniel Desmecht, découvre qu’il en allait tout autrement ! En clair, lui et son équipe ont pu démontrer que deux souches d’influenza, équivirulentes mais distinctes, engendraient deux maladies fondamentalement différentes*.

Une découverte née du hasard

Une découverte d’autant plus importante que, tant au sein de la communauté scientifique que dans la mémoire collective, le souvenir des pandémies de grippe de 1918 (qui provoqua quelque 50 millions de morts), de 1957 et de 1968 reste toujours bien prégnant. « Le retour d’une pandémie de cette ampleur ne relève absolument pas du fantasme, confirme le Pr Desmecht, du département de pathologie de la faculté de Médecine vétérinaire. Il faut rappeler aussi que, chaque année, les virus influenza infectent entre 5 et 15% de la population humaine mondiale et provoquent le décès d’un demi-million de personnes, lesquelles meurent principalement des suites de deux complications : soit la pneumonie bactérienne, soit la pneumonie virale primaire. »

Cette découverte importante est née d’un heureux hasard : pour les besoins d’une recherche consacrée à des protéines capables d’interférer avec le cycle biologique des virus influenza, les scientifiques devaient disposer de deux souches virales hyperpathogènes pour la souris, animal expérimental par excellence. Au départ, les deux souches disponibles étaient incapables de provoquer une maladie chez la souris ; la première provenait d’un aigle porteur du virus H5N1 et la seconde d’un porc nord-américain infecté par un lointain descendant, atténué, du virus pandémique de 1918. Afin de les contraindre à évoluer pour s’adapter à leur nouvel hôte, les chercheurs ont inoculé ces deux virus à plusieurs reprises à des souris, ce qui a abouti à des virus un peu plus pathogènes et virulents à chaque itération. Au terme de ce processus, ils avaient généré deux virus radicalement différents (un H5N1 d’origine aviaire et un H1N1 d’origine porcine), mais équivirulents pour la souris ! A ce stade, ces deux virus ont, encore une fois, été inoculés à des souris, l’objectif étant de suivre pas à pas le développement de la maladie. Et c’est là que survint une surprise de taille…

Daniel Desmecht et son équipe vont alors procéder à une kyrielle d’analyses des souris inoculées. Premier constat : quoique les deux virus soient équivirulents, il suffit de quatre jours au H5N1 pour que la maladie se développe et devienne mortelle alors qu’il en faut le double pour le H1N1. En outre, la vitesse d’établissement de l’œdème pulmonaire varie; le H5N1 provoque le doublement du poids des poumons infectés en 24 heures tandis que ce doublement pondéral s’étale sur trois jours avec le H1N1. Quant à la quantité de virus présente dans les poumons au moment précis du décès des souris, elle est identique pour le H5N1 et le H1N1, soit au quatrième jour pour le premier et au cours des trois derniers jours pour le second. « Mais l’information la plus spectaculaire, s’enthousiasme le chercheur liégeois, c’est incontestablement le constat que les deux virus évoquent des altérations histopathologiques à ce point différentes que chacun des membres du laboratoire peut, à l’aveugle, reconstituer sans erreur les deux groupes expérimentaux sur la base d’un bref examen des lames au microscope… »

Avancée majeure

Pour le Pr Desmecht, la conclusion qui s’impose est évidente : au départ de deux souches virales différentes mais également virulentes, on débouche bien sur deux maladies foncièrement dissemblables. Une découverte fondamentale qui, à l’évidence, va permettre non seulement une meilleure compréhension des mécanismes de virulence mis en jeu lors des pneumonies virales primaires dues aux virus influenza, mais également un inventaire plus exhaustif des marqueurs génétiques de virulence et une adaptation de la réponse thérapeutique à la souche concernée.

Frédéric Moser
Photo : D. Desmecht

Voir l’article complet sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique vivant/médecine vétérinaire).

* Mutien-Marie Garigliany et coll., “Influenza A strain-dependent Pathogenesis in Fatal H1N1 and H5N1 Subtype infections of mice”, in Emerging Infectious Diseases 16 : 595-603, april 2010.

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