Avril 2010 /193
Sanction royale
Récemment encore, des voix se sont élevées pour demander la limitation des prérogatives royales et réduire le rôle du Roi à une fonction strictement protocolaire.
Va-t-on supprimer la “sanction royale” ? Regards croisés de Christian Behrendt, constitutionnaliste et chargé de cours à la faculté de Droit, et de Marc Vanesse, ancien journaliste du Soir, chargé de cours à la faculté de Philosophie et Lettres.
Le 15e jour du mois : La sanction royale est-elle encore essentielle aujourd’hui ?
Christian Behrendt : Rappelons d’abord que la Constitution belge de 1831 fut “calquée” sur celle du Royaume-Uni, laquelle prévoit qu’un projet de loi voté par le Parlement doit en outre recevoir l’aval du Roi : c’est la sanction royale. Pour qu’un texte législatif devienne une loi en Belgique, il doit donc être approuvé par la Chambre, par le Sénat et par le Roi. Notons que le Roi ne peut jamais agir seul : sa signature doit être contresignée par un ministre, en principe celui dont le portefeuille est concerné par la loi. Techniquement, le projet de loi est voté par le Parlement, contresigné par le ministre, puis envoyé au Palais afin que le chef de l’Etat, en dernier lieu, puisse y apposer sa signature.
Au Royaume-Uni, il ne fait aucun doute que le Roi (ou la Reine) peut, en théorie, s’opposer à un projet de loi… mais, depuis le XVIIe siècle, plus aucun monarque ne l’a fait. En Belgique par contre, il n’y a en droit constitutionnel aucun exemple d’un “veto” royal : le Roi n’a pas le pouvoir de s’opposer personnellement à une loi. Contrairement à une rumeur qui persiste encore aujourd’hui, je voudrais d’ailleurs insister sur le fait que le roi Baudouin, en 1990, n’a pas à proprement parler “opposé son veto” à la loi sur l’avortement (car s’il y avait eu veto, le texte ne serait jamais entré en vigueur). Il a au contraire cherché à concilier la volonté démocratique exprimée par le Parlement et sa propre conscience, en souhaitant ne pas devoir intervenir, à titre personnel, dans le processus d’adoption de cette loi. Mais il n’a pas contesté que cette loi, approuvée par les représentants démocratiquement élus de la nation, devrait pouvoir entrer en vigueur.
Le 15e jour : Pourquoi reparler des prérogatives royales maintenant ?
Christian Behrendt : Je pense que la question de la succession prochaine d’Albert II est posée avec plus d’acuité : notre Roi prend de l’âge. Or, le prince Philippe, appelé à accéder au trône, a manifesté quelques velléités, disons, d’autorité. Une intervention directe du Roi dans les affaires semble peu probable, mais Philippe a donné l’impression qu’il voulait “prendre toute sa place” sur la scène publique. Certains hommes politiques se demandent dès lors si le système qui repose sur un subtil équilibre – et qui fonctionne – sera toujours possible, demain, avec un souverain moins “accommodant”.
Certes, l’érosion progressive de l’influence royale que l’on a constatée au fil du temps a profité aux partis politiques. Mais ceux-ci sont de plus en plus divisés et on oublie trop souvent que, d’après la Constitution, le Roi a de réels pouvoirs dans notre société : il nomme les ministres fédéraux par exemple.
Une certaine forme de prudence démocratique voudrait alors que l’on fixe plus clairement les pouvoirs du Roi, surtout quand celui-ci a exprimé des positions un peu tranchées sur certaines questions. Face aux multiples problèmes à régler (la crise économique, les défis sociaux, les enjeux linguistiques, les finances publiques, etc.), il est logique que les partis politiques ne souhaitent pas en plus devoir “gérer” un Roi caractérisé par des accès autoritaires dont les positions risqueraient de mener à des conflits supplémentaires. Symbole de l’Etat belge, le Roi doit rester une figure emblématique : un personnage qui rassemble et facilite le consensus, non qui exige ou divise.
Le 15e jour du mois : La sanction royale est-elle encore essentielle aujourd’hui ?
Marc Vanesse : Notre Constitution a fait de la Belgique une monarchie parlementaire. C’est donc bien du Parlement et du gouvernement qu’émanent les propositions et projets de lois, même s’il est prévu que le Roi signe également les textes. La fédéralisation du pays a largement diminué le poids du Roi en matière législative, puisque les entités fédérées adoptent des décrets qui n’ont pas besoin du contreseing royal pour entrer en application.
De plus, la Constitution encadre strictement les pouvoirs du Roi et organise à la fois son irresponsabilité et son inviolabilité, ce qui signifie que, même dans les actes les plus anodins, le Roi est toujours “couvert” par un ministre. Parfois jusqu’à l’absurde... En 2006, dans l’avion qui emmenait la mission royale en Chine, j’avais été amusé de voir le Roi et la Reine venir poliment saluer chaque membre de la mission… avec le ministre des Affaires étrangères sur les talons ! La monarchie belge reste aussi sous haute surveillance lorsque le Roi s’adresse aux citoyens, à Noël et à l’occasion de la Fête nationale : toute spontanéité de son discours est bridée. Plutôt qu’un rôle politique, le Roi incarne un rôle symbolique. La suppression de la sanction royale ne changerait pas grand-chose à la situation actuelle.
Le 15e jour : Pourquoi reparler des prérogatives royales aujourd’hui ?
Marc Vanesse : La prochaine accession de Philippe sur le trône crispe davantage les esprits parce que le Prince a tenu des propos sortant du cadre “habituel” dont je viens de parler. Certains hommes politiques redoutent l’une ou l’autre initiative du futur Roi qui viendrait ébranler le système actuel, jugé comme équilibré. Ils préféreraient adopter le principe de précaution en limitant la monarchie à une fonction strictement protocolaire.
L’opinion publique est, quant à elle, très susceptible lorsque l’on “touche” à la monarchie. Dans un sens comme dans l’autre. Lorsque les médias évoquent le Roi, sa famille, son entourage, sa fonction, ces thèmes suscitent beaucoup de réactions de la part des citoyens : les journaux reçoivent alors un important courrier des lecteurs ! L’émotion peut parfois être très vive, notamment en Flandre. La famille royale, globalement perçue comme étant plus proche des Francophones, fait régulièrement l’objet de critiques cinglantes. Symbole de l’unité du pays, le Roi constitue pour une frange de la population franchement anti-royaliste, un obstacle à la scission de la Belgique. Sans parler de la dotation royale (et princière) qui, de part et d’autre de la frontière linguistique, fait grincer des dents…
Une autre partie de l’opinion soutient la Maison royale et voit dans le Roi une figure paternelle, vantant ses qualités d’écoute et d’empathie. Ceux-là estiment que le Roi, gardien d’une Belgique idéalisée, incarnerait une figure rassurante, capable de rester “au-dessus de la mêlée”.
Souvent débattue, la limitation des prérogatives royales est dans l’air du temps. Elle rendrait sans doute la fonction royale plus conforme à ce qu’elle est dans la réalité : hautement symbolique et si peu politique.
Propos recueillis par Patricia Janssens
Photos : Tilt-ULg et Jean-Louis Wertz
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