Avril 2010 /193
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Les puissances émergentes

4 questions à Sebastian Santander

SantanderSebastian-3QSebastian Santander est chargé de cours au département de science politique en faculté de Droit.

Dans la foulée de son ouvrage L’émergence de nouvelles puissances, Sebastian Santander chapeautera, le 30 avril prochain, un colloque intitulé “L’essor de nouvelles puissances : vers une redistribution du pouvoir mondial”. On y discutera – avec plusieurs chercheurs d’universités européennes et canadiennes – de l’émergence ou de la réémergence de nouveaux acteurs dominants sur la scène internationale : ceux qui, déjà, entendent bien peser dans les débats, aux côtés de puissants mastodontes comme les Etats-Unis. Sous l’angle de l’économie politique internationale, ce colloque examinera la nature des puissances émergentes et leurs relations avec les puissances dominantes, singulièrement avec les Etats-Unis, l’Union européenne ou le Japon. Rencontre préliminaire avec Sebastian Santander, le responsable de l’unité de recherche en relations internationales de l’ULg.

Le 15e jour du mois : Qu’entendez-vous  par puissances émergentes ?

Sebastian Santander : On constate aujourd’hui qu’il existe, répartis sur différents continents, des pays qui réorganisent l’espace géostratégique qui leur est proche. Parmi eux, la Chine, l’Inde, mais aussi l’Afrique du Sud et le Brésil. D’aucuns y ajoutent le Mexique et même la Turquie, un pays majeur d’un point de vue géostratégique, mais qui est surtout parvenu à développer une économie de marché attrayante pour les investisseurs extérieurs. Sans oublier la Russie, qui est en réalité un pays réémergent. Ils se dotent de plus en plus d’attributs matériels et immatériels de la puissance. Ces nouvelles puissances se manifestent dans des questions relatives au commerce, l’humanitaire ou dans la gestion de crise et les opérations de maintien de la paix. La puissance de cette poignée de pays se définit également à l’aune de la reconnaissance dont ils jouissent de la part de leurs pairs et des acteurs dominants de la scène internationale.

Le G7, qui regroupe les grandes puissances industrielles de la planète, a d’ailleurs progressivement accepté l’idée de créer une sorte de forum de cogestion de la planète – le G20 –, un club de puissances industrielles élargi aux puissances émergentes et chargé de trouver des solutions à des problèmes internationaux. Par ailleurs, le pouvoir croissant de ces Etats se manifeste dans une pléiade d’instances multilatérales telles que l’OMC. Aujourd’hui, des pays comme l’Inde et l’Afrique du Sud s’y mobilisent et y développent des relations Sud-Sud pour contrecarrer les plans des pays riches, en matière d’agriculture par exemple.

Le 15e jour : On constate que ces nouvelles puissances tiennent plutôt un discours tiers-mondiste. Pour mieux s’opposer aux homologues occidentaux ?

S.S. : Leurs discours diffèrent souvent de la réalité de leurs pratiques : pour une part, ils cherchent en effet à se présenter comme les défenseurs des pays “en développement”, mais n’hésitent pas, par ailleurs, à mener des politiques semblables à celles mises en œuvre par les pays industrialisés au niveau mondial. On voit ainsi des pays comme l’Afrique du Sud et le Brésil dire à leurs partenaires régionaux : « Achetez nos biens industriels à haute valeur ajoutée, en échange de quoi nous ouvrons nos marchés à vos biens agricoles. » Autrement dit, ils introduisent une sorte de rapport Nord-Sud au niveau régional, leur discours tiers-mondiste servant simplement à accompagner la construction de leur puissance dans leurs régions respectives et à les faire valoir en tant qu’acteurs bienveillants.

Par ailleurs, on ne constate pas, dans le chef de ces nouvelles puissances, la moindre remise en question de la logique libérale de compétition économique à l’échelle globale. Elles critiquent en partie le système financier à l’origine de la crise économique actuelle, mais pas la nature même de la mondialisation. Elles ne promeuvent pas un autre projet de société sur la scène internationale. Je pense au contraire qu’elles sont convaincues qu’elles ont bon nombre de cartes à jouer dans cette globalisation.

Le 15e jour :  On présente aujourd’hui la Chine comme le grand pays émergent, au point d’évoquer parfois une “menace chinoise”. N’est-ce pas exagéré ?

S.S. : Si l’on pense à un conflit armé, la “menace chinoise” est exagérée. Mais les craintes de voir dans la Chine un véritable challenger sont tout à fait justifiées. Nous avons affaire à un pays qui, non seulement traverse la crise sans trop de difficultés, avec un taux de croissance de 8% contre un taux négatif du côté américain, mais qui peut aussi se targuer d’être la plus importante réserve de dollars américains au monde. Avec son milliard d’habitants et autant d’atouts économiques, il peut progressivement s’affirmer comme acteur incontournable: il l’a clairement signifié à Copenhague. Mais la Chine se profile aussi comme l’un des plus grands pollueurs de la planète.

Le 15e jour : Pour autant, peut-on d’ores et déjà parler de “monde multipolaire” ?

S.S. : Nous ne sommes pas encore réellement dans un monde multipolaire. Si l’on se réfère à l’ensemble des critères qui définissent la puissance, on constate d’emblée qu’il n’existe pas encore de pôles comparables aux Etats-Unis. Ceux-ci sont encore, de loin, la première puissance militaire. Par ailleurs, les Etats-Unis sont présents dans une écrasante majorité de dossiers internationaux, et ils le seront tant qu’ils seront considérés et se considéreront comme un acteur ayant des responsabilités mondiales. Affirmer que le monde est devenu multipolaire revient à considérer qu’il existe plusieurs pôles économiques et politico-militaires de même nature et de caractéristiques comparables qui se contrecarrent. Ce qui n’est pas le cas.

L’Europe cherche à se positionner par rapport à ces nouvelles puissances via des partenariats stratégiques mais, du fait de sa complexité, elle a du mal à construire sa puissance et à se doter d’instruments d’influence politique sur la scène internationale, comme elle peine à couper le cordon ombilical avec les Etats-Unis. L’Europe est dotée d’instances supranationales, mais aussi de 27 Etats, lesquels ont chacun leur tradition diplomatique. Tant qu’elle sera plombée par des problèmes de politique interne et qu’elle ne sortira pas du nombrilisme qui la caractérise, l’Europe restera un acteur mineur sur la scène mondiale.

Propos recueillis par Patrick Camal


L’essor de nouvelles puissances : vers une redistribution du pouvoir mondial
Colloque, le vendredi 30 avril, à 9h30.
Avec notamment la participation de Nina Bachkatov (ULg), Mathieu Arès (université du Québec à Montréal), Jean-Jacques Kourliandsky (Institut des relations internationales et stratégiques, Paris).
Salle académique, place du 20-Août 7, 4000 Liège.

Contacts : tél. 04.366.43.89, courriel sophie.wintgens@ulg.ac.be,
programme complet sur le site www.depscpo.ulg.ac.be

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