Des Européens au Congo, particulièrement au Katanga*, il n’y en a plus beaucoup. Comment vivent-ils, qu’y font-ils ? Anthropologue et chargé de cours à l’Institut des sciences humaines et sociales, Benjamin Rubbers a étudié cette minorité un peu comme ses prédécesseurs avaient étudié les tribus indigènes.
Si les chercheurs en sciences sociales ont très tôt souligné l’importance de mener des recherches sur les minorités blanches, notamment à l’initiative au siècle dernier de Bronislaw Malinowski en Grande-Bretagne et de Georges Balandier en France, peu ont finalement suivi les traces de ces deux ethnologues. « A leur époque, un anthropologue qui se rendait en Afrique devait étudier les Africains et pas les colons, souligne Benjamin Rubbers, chargé de cours au laboratoire d’anthropologie sociale et culturelle. D’autant que de nombreux anthropologues considéraient leurs compatriotes installés sous les Tropiques comme les représentants de l’entreprise coloniale jugée responsable de la disparition des traditions indigènes qu’ils avaient justement pour ambition de sauvegarder. » Le projet de recherche mené par Benjamin Rubbers, entre 2002 et 2004, offre ainsi un éclairage sur un objet peu étudié en sciences sociales.
L’ouvrage** est composé de quatre parties : la frontière en “Noir” et “Blanc”, la minorité blanche, le commerce et la relation à l’Etat.
Dans la troisième partie de l’ouvrage, l’auteur aborde la question du commerce d’importation. Domaine essentiel car si le Katanga tire sa richesse de son sous-sol, il demeure aussi très fortement dépendant de l’extérieur pour les biens de consommation courante. Domaine dans lequel, par ailleurs, les Européens occupent une position importante.
Historiquement, ils ont exercé et exercent encore leurs activités aujourd’hui – à des niveaux moindres qu’auparavant – dans trois secteurs : le négoce de détail, la production manufacturière et le commerce de gros. Les opérateurs congolais, quant à eux, sont actifs sur trois plans : démarchage, distribution et importation, mais ils souffrent hors de leurs frontières d’une mauvaise image auprès des autres pays d’Afrique australe. Ce manque de confiance mine, par ailleurs, les rapports économiques entre Congolais.
Au regard des gouvernements en place, les entrepreneurs expatriés représentent des partenaires de prédilection pour développer des trafics transfrontaliers lucratifs. A la différence des concurrents asiatiques en effet, ils partagent avec eux une histoire et un ensemble de références culturelles. Par contraste avec les entrepreneurs congolais, les expatriés disposent de fonds et de compétences nécessaires pour monter une filière à l’exportation. Leur réseau de relations à l’étranger permet à la fois d’obtenir des financements et des équipements, et d’écouler la marchandise. « En outre, les opérateurs étrangers offrent, comme minorité sociale et politique, l’avantage de la vulnérabilité, constate le chercheur. La faiblesse de leur protection juridique et politique constitue un gage de fiabilité pour les hommes politiques, lesquels peuvent brandir, en cas de nécessité, la menace de leur expulsion, de leur mise en prison ou de leur expropriation. » D’où l’intérêt pour ces opérateurs d’entretenir un réseau de relations politiques afin de développer leurs affaires, de jouer à armes égales avec leurs concurrents et de bénéficier d’une protection qui peut s’avérer utile.
En étudiant les derniers colons du Katanga, Benjamin Rubbers a dévoilé une réalité méconnue de l’Afrique d’aujourd’hui : la minorité blanche est tiraillée de l’intérieur mais fait front face aux attaques qui émanent de l’extérieur. Et quand ces dernières proviennent d’Europe, notamment de Belgique, il ne faut pas longtemps à ces “enfants du pays” pour se regrouper et renforcer leur identité « face à un monde extérieur qui, décidément, ne comprend rien à la vie des Blancs d’Afrique ».
Guy Van den Noortgate
Article complet sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Société/anthropologie)
* Le Katanga est la province la plus méridionale de la République démocratique du Congo (RDC). Sa capitale est Lubumbashi, anciennement Elisabethville. C’est une province à la fois agricole (sur le plateau) et industrielle puisque, à l’est et au sud, elle recèle de très riches gisements en divers métaux : cuivre, cobalt, fer, uranium, etc.
** Benjamin Rubbers, Faire fortune en Afrique, Anthropologie des derniers colons du Katanga, coll. Les Afriques, éd. Karthala, Paris, 2009.