Comment écrire une biographie fiable d’un roi disparu il y a plus de 30 siècles ? Beaucoup dépend de l’abondance et de la qualité des sources que le temps aura permis de conserver jusqu’à nous. Mais, dans le cas d’Amenhotep IV-Akhénaton (Aménophis IV, en grec ancien), le problème majeur réside dans la manière dont les informations disponibles à son sujet ont été interprétées depuis de sa “redécouverte”, au milieu du XIXe siècle. Son personnage a, en effet, été déformé, parfois jusqu’au risible, par les fantasmes et les besoins identitaires de l’Occident vis-à-vis de l’Égypte, perçue comme un lointain précurseur des sociétés contemporaines et de leurs valeurs.
Aussi attribua-t-on au pharaon “monothéiste” des traits de personnalité qui n’avaient pas grand-chose à voir avec ce qu’il fut réellement. Il a ainsi pu être décrit, tour à tour, comme le précurseur du Christ, le père spirituel de Moïse, un humaniste préscientifique, le premier instigateur de la théosophie, du nazisme ou de la perestroïka, une figure de proue du mouvement gay, un extra-terrestre, etc. « L’exceptionnelle popularité d’Akhénaton rappelle à l’égyptologue son devoir sociétal primordial, tempère Dimitri Laboury, maître de recherches du FNRS à l’université de Liège. Il consiste à diffuser auprès d’un large public les connaissances relatives à l’Égypte ancienne qu’il est aujourd’hui possible d’établir par une démarche scientifique. » C’est le précepte qu’il s’est efforcé de respecter dans la biographie qu’il vient de publier* chez Pygmalion.
Le prince Amenhotep, futur Akhénaton, a vu le jour lors d’une des périodes les plus fastueuses de l’Égypte antique. Vers 1352 avant notre ère, sans doute encore adolescent, il monte sur le trône d’un pays où la distinction moderne entre pouvoir politique et religion n’a aucun sens, puisque Pharaon y est perçu comme un dieu. Mais, depuis les réformes initiées par son père Amenhotep III, chaque divinité du panthéon est interprétée comme une manifestation particulière du dieu suprême, Amon-Rê, incarnation du soleil.
Avec le nouveau souverain, le dieu solaire va devenir “Aton”. C’est en l’an 4 de son règne que le pharaon s’unit à la splendide Néfertiti et commence à penser à sa descendance. Mais c’est alors, surtout, qu’il impose sa nouvelle théocratie, un nouveau système idéologique de légitimation du pouvoir. Aton, source unique de légitimité, offre au roi l’avantage d’être facilement contrôlable, puisque son seul interlocuteur et unique interprète est désormais le pharaon lui-même ! Pour parfaire le dispositif, Amenhotep IV change de nom et devient Akhénaton, “celui qui est utile pour l’Aton”.
L’“Atonisme” peut être qualifié de véritable monothéisme car, au fil du temps, il aboutira au rejet de toutes les autres divinités. La principale innovation d’Akhénaton réside cependant dans son initiative de monopoliser ce dieu suprême comme sa divinité personnelle, verrouillant ainsi un pouvoir vraiment théocratique. La réforme ne s’impose évidemment pas sans susciter d’opposition. C’est sans doute l’un des éléments qui convainquent le souverain d’abandonner Karnak, fief de l’ancien dieu (près de Louqsor, l’antique Thèbes), pour déménager la cour vers une nouvelle capitale, sur le site d’Amarna, en Moyenne Égypte. Un chantier colossal va faire surgir Akhet-Aton, le nouvel “Horizon-de-l’Aton”, une ville entièrement dédiée à la nouvelle théocratie et à son dieu tutélaire, sur la rive droite du Nil. C’est là que le règne connaîtra son apogée, puis son déclin.
Une série de décès, probablement dus à la peste, décime la famille royale. Et, sur le plan géopolitique, l’Égypte subit des revers qui menacent son “glacis” protecteur au Proche-Orient, convoité par les Hittites d’Anatolie. C’est alors qu’Akhénaton décède, peu après Néfertiti, à l’issue de 17 années de règne, vers 1335 avant J.-C. Il laisse donc l’Égypte dans une situation particulièrement délicate.Aussi ses successeurs s’empressent-il de revenir à l’ancien régime sur le plan religieux. L’abandon de l’Atonisme est justifié par l’état de déliquescence dans lequel il aurait plongé le pays : si l’Égypte a subi des revers, si elle a été frappée par les épidémies, c’est parce que les dieux se sont détournés d’elle lorsque la royauté les a délaissés. L’Akhénaton qui ressort du livre de Laboury surprendra sans doute beaucoup de lecteurs, car il est incompatible avec le visionnaire mystique ou l’humaniste généreux réinventé par l’imaginaire occidental.
Jacques Gevers
Article complet sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Société/histoire).
• Dimitri Laboury, Akhénaton, éd. Pygmalion, Paris, 2010, 482 pages.