Le nuage de cendres dû à l’éruption du volcan islandais Eyjafjöll, le 20 mars dernier, a complètement paralysé l’espace aérien, et de ce fait quasiment la planète entière. Des dizaines de milliers de personnes (parmi lesquelles des étudiants de Gembloux Agro-Bio Tech en voyage au Maroc) ont été bloquées, et les pertes pour l’économie sont colossales.
La décision d’interrompre longuement le trafic aérien a fini par créer la polémique. Excès de zèle selon les uns, logique application du principe de précaution pour les autres : la crise pose la question de la gestion du risque dans nos sociétés modernes. Rencontre avec le Pr Sébastien Brunet, du département de science politique*.
Le 15e jour du mois : Comment analyser le risque lié au nuage de cendres volcaniques ?
Sébastien Brunet : C’est un risque naturel classique. Ce qui le rend particulier, c’est le fait que nous vivons dans des sociétés fortement technologisées reposant sur l’existence de “macro-systèmes techniques” (MST) interconnectés et interdépendants. Traditionnellement, l’éruption d’un volcan représente surtout un risque pour les gens qui vivent à proximité. Depuis que l’homme a colonisé son environnement avec ses MST, les conséquences d’un risque naturel sont potentiellement plus importantes que par le passé. Le nuage de cendres est un bel exemple de cette vulnérabilité grandissante de nos sociétés industrielles du fait de leur interconnexion.
Le 15e jour : On a beaucoup glosé sur le principe de précaution. Selon vous, son application se justifiait-elle ?
S.B. : Dans le cas d’espèce, certainement, même s’il y avait d’autres déclinaisons possibles qu’une fermeture complète de l’espace aérien. Les autorités politiques ont pris une décision non pas électoraliste, mais bien d’intérêt général en privilégiant la santé publique par rapport aux intérêts économiques. Appliquer le principe de précaution, c’est reconnaître l’incertitude et l’incapacité des experts scientifiques à nous éclairer sur certains phénomènes. C’est donc renvoyer les décideurs politiques à leurs responsabilités et aux difficiles arbitrages qu’ils doivent opérer.
Le 15e jour : Comment voyez-vous l’impact à plus long terme des risques sur notre mode de vie ?
S.B. : Parler des risques, c’est faire de la politique. Identifier un risque et le traiter en tant que tel suppose en amont que des choix, des priorités, bref des arbitrages politiques ont été posés. Certains risques dans leur formulation n’impliquent aucun changement particulier dans nos modes de vie. Au contraire, ils nous disent : faisons encore plus et mieux ce qu’on est capable de faire. Un exemple ? Les accidents de la route. Au lieu, éventuellement, de remettre en question cet appendice de l’homme moderne qu’est l’automobile, nous produisons encore plus de voitures, plus belles et plus sûres. D’autres risques par contre, s’ils se réalisaient, ont un tout autre potentiel. Ainsi les changements climatiques, s’ils ne reçoivent pas une réponse adéquate, pourraient nous imposer d’autres changements, de vie ceux-là.
Propos recueillis par Eddy Lambert
* Sébastien Brunet est l’auteur de l’ouvrage Société du risque : quelles réponses politiques ?, L’Harmattan, Paris, 2007.