Dessine-moi une Rentrée

Quand l'image invente une forme de pensée

C'est à "l'image dans tous ses états" que sera dédiée la cérémonie de Rentrée académique le mercredi 22 septembre prochain. A cette occasion, le recteur Bernard Rentier remettra les insignes de docteur honoris causa à sept personnalités de renom : Pierre Alechinsky, Victor Burgin, Santiago Calatrava, William Klein, Jacques Perrin, Agnès Varda et Bill Viola. Rencontre avec le Pr Marc-Emmanuel Mélon.

Le 15e jour du mois : Si le XIXe siècle est le grand siècle du roman, le XXe est celui de l'image et en particulier de l'image animée...

Marc-Emmanuel Mélon : Nombre d'historiens l'ont admis depuis lontemps : le cinéma est l'art majeur du XXe siècle. On assiste aujourd'hui à sa dissémination sur tous les supports et dans toutes les pratiques artistiques. C'est pourquoi il importe de réfléchir en termes d'image et non plus de cinéma, de peinture, de photographie ou de vidéo, car ces catégories ne cessent d'être bousculées. Cela ne signifie pas que les pratiques artistiques n'ont plus leur spécificité, mais plutôt qu'il est devenu indispensable de les penser les unes par rapport aux autres. L'œuvre de Victor Burgin - à la fois artiste et théoricien - est tout à fait emblématique de cette transdisciplinarité. Les images qu'il crée renvoient à d'autres déjà existantes et invitent à réfléchir activement sur leurs différences de statut. Au-delà de cette réalité contemporaine, il faut saluer l'initiative du Recteur de vouloir distinguer l'image car notre culture occidentale, depuis Platon, considère le langage et l'écriture comme l'expression suprême de la pensée alors qu'elle se méfie des images, "simulacres" qui trompent les sens.

Je me souviens qu'au début des années 1990, un professeur de philosophie aujourd'hui décédé s'était offusqué de la proposition de mon département de confier un cours de vidéo aux frères Dardenne. Pour lui, la vidéo à l'Université, c'était la décadence ! Aujourd'hui, l'ULg remet les insignes de docteur honoris causa à Bill Viola, l'un des plus grands artistes vidéo contemporains.

Le 15e jour : Les personnalités honorées se distinguent par la place qu'elles occupent dans l'histoire des avant-gardes et des recherches sur l'image. Comment les considérer alors que les créateurs d'images qui touchent le grand public sont les publicitaires ou les metteurs en scène de films à succès ?

M-E.M : Comme pour les autres formes d'expression, il y a des images simples, relativement faciles à décrire, et des images complexes. Mais ce qui paraît simple aux yeux du public ne l'est pas nécessairement pour le scientifique, et inversement. Souvent, le grand public aime la complexité, surtout technologique comme on le voit avec l'engouement pour la 3D. Il comprend mal l'intérêt esthétique du fameux Carré blanc sur fond blanc de Malevitch. Or, ce tableau remet fondamentalement en question notre rapport à l'espace, ce que ne fait pas la 3D qui tente de le reproduire par une illusion. La complexité esthétique n'est pas du même ordre que la complexité technologique. Toutes les images, artistiques ou non, donnent à penser mais certaines font plus que de donner à penser : elles pensent en elles-mêmes, ce qui signifie qu'elles inventent une forme de pensée qui ne s'exprime pas par le langage. Les artistes honorés par l'ULg ont en commun d'avoir exploré ces nouvelles voies et d'avoir créé de nouvelles formes de pensée visuelle. Voir The reflecting pool de Bill Viola, une bande vidéo de sept minutes réalisée en 1977, c'est entrer dans un espace-temps sidérant dont le langage, même philosophique, ne parvient à rendre compte qu'avec beaucoup de difficulté : l'image l'exprimera toujours mieux que le langage.

Le 15e jour : La volonté de mettre l'image à l'honneur est-elle aussi significative de la vitalité liégeoise en la matière ?

M-E.M. : Dans les années 1970, Liège a connu une grande vitalité culturelle dont on pourrait trop facilement croire qu'elle a disparu. Or, voici 40 ans, il n'y avait tout simplement pas de cinéastes à Liège ; il y avait très peu de photographes et seulement quelques pionniers de la vidéo comme les frères Dardenne ou Jacques-Louis Nyst. Aujourd'hui, les Dardenne sont internationalement reconnus et d'autres cinéastes - Olivier Smolders, Thierry Michel ou Bouli Lanners - sont apparus. Par ailleurs, les photographes et vidéastes ne manquent pas à Liège et de nombreuses sociétés de production s'y sont installées (certaines comme Versus ou Frakas ont été fondées par des diplômés de l'ULg). La Cité ardente est donc devenue une ville où l'invention des images se pratique aujourd'hui à grande échelle.

Propos recueillis par Pierre Henrion
Voir les articles sur le site www.ulg.ac.be/ra2010

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