Septembre 2010 /196
Septembre 2010 /196

Touchons du bois

Bois tropicaux, une liste rouge à revoir

BoisSelon les travaux du laboratoire de foresterie des régions tropicales et subtropicales de Gembloux Agro-Bio Tech*, l'Afrormosia - ou Assamela, une essence africaine utilisée par les consommateurs belges - pourrait quitter la liste des espèces menacées de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Espèce menacée

Parfois surnommé le "teck d'Afrique", Pericopsis elata est l'une des essences tropicales africaines les plus prestigieuses. Arrivé à maturité, l'arbre file sur 40 à 45 mètres de hauteur. Utilisé notamment pour la fabrication de meubles, de parquets et de ponts de bateaux, il fait partie des essences les plus prisées par les compagnies forestières qui l'exportent vers l'Europe, et tout particulièrement vers la Belgique. Particularité notable : l'Afrormosia figure sur la liste des espèces menacées de l'UICN. Rangé depuis une quinzaine d'années à l'annexe 2 de la convention "Cites", il est notamment soumis à un régime spécial d'autorisations d'exportation.

Un statut justifié ? Au laboratoire de foresterie des régions tropicales et subtropicales, les experts ne cachent pas leur perplexité. « Sur le plan biologique, on connaît finalement très peu cette essence, explique le Pr Jean-Louis Doucet, responsable du laboratoire. D'une façon plus générale, les critères de classement utilisés par l'UICN sont peu adaptés aux arbres. Ils imposent par exemple qu'on connaisse l'évolution des populations au cours des trois dernières générations, soit environ trois siècles : très difficile ! »

Penchés sur l'Afrormosia, les experts gembloutois ont remarqué que, dans les pays où cette espèce est encore globalement abondante (Cameroun, Congo et République démocratique du Congo), les jeunes pousses sont peu fréquentes : alors que les arbres d'âge moyen sont nombreux, les jeunes "tiges" (quelques années à peine) restent rares, ce qui fait évidemment planer de lourdes hypothèques à long terme sur l'avenir commercial et écologique de cet arbre. Pour quelles raisons ?

Les recherches menées récemment au Cameroun par le doctorant Nils Bourland démontrent que la culture sur brûlis a été largement pratiquée par l'homme pendant près de 2000 ans dans l'aire de distribution de l'Afrormosia. Héliophile - qui a besoin d'une grande quantité de lumière pour se développer dès le semis naturel -, l'Afrormosia a considérablement bénéficié de cette présence humaine. En effet, une fois abandonnés, les champs laissaient des espaces particulièrement propices à la régénération naturelle. Les communautés humaines étant mobiles, d'énormes zones ont ainsi été "cultivées" au plus grand bénéfice de l'espèce. Par la suite, la colonisation a mis un coup de frein à ce type d'occupation en prônant la sédentarisation des peuples. Le couvert végétal s'est alors progressivement refermé, au détriment du développement des nouvelles pousses.

Malgré cette évolution de la forêt qui a tendance à exclure naturellement l'Afrormosia, son statut d'espèce en danger d'extinction est largement critiquable en vertu des dispositions prises par les Etats africains pour assurer une gestion forestière durable de l'espèce (interdiction d'exploitation en-dessous d'un diamètre variant de 60 à 100 cm, obligation d'aménager la forêt, important réseau d'aires protégées dans l'aire de distribution de l'Afrormosia).

Etude de faisabilité

A l'heure actuelle, le laboratoire gembloutois teste, sur près de deux millions d'hectares (une première à une telle échelle !), la plantation d'arbres élevés en pépinière à raison de cinq à six plants par trouée d'abattage. L'objectif de telles expérimentations ne consiste évidemment pas à encourager des abattages plus massifs, d'ailleurs rendus impossibles dans ces régions par la certification FSC 1, sous prétexte que cette "assistance" pourrait aider la forêt à se régénérer plus facilement. Il consiste, plutôt, à examiner comment l'exploitation commerciale parcimonieuse peut être assurée à long terme, au prix d'une intervention humaine légère, réalisée en parfaite compatibilité avec la fonction écologique de la forêt. Pour l'Afrormosia, bien sûr, mais aussi pour bien d'autres essences tropicales2.

Philippe Lamotte
Article complet sur www.reflexions.be


* 
Unité de gestion des ressources forestières et des milieux naturels, Gembloux Agro-Bio Tech-ULg.

1
 A l'heure actuelle, cinq millions d'ha de forêts sont certifiés FSC (Forest Steward Council) en Afrique centrale.

2 
Sur cette thématique, l'exposition "Africasylves" aura lieu du 23 septembre au 22 octobre, à Gembloux Agro-Bio Tech.

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