Un nouvel ouvrage rédigé par trois assistants de l'ULg décortique la loi qui règle la détention préventive et la façon dont elle est appliquée par les professionnels du droit*. Œuvre de juristes et non de criminologues, ce livre n'aborde pas le problème de la surpopulation carcérale, dont l'usage intensif de la détention préventive est l'une des causes.
Cet ouvrage sera un précieux outil de travail pour les magistrats, avocats, étudiants en droit et pour tous ceux qui s'intéressent aux conditions dans lesquelles un individu peut être privé de sa liberté. Elles sont fixées par la loi du 20 juillet 1990 qui organise la détention préventive en tant que solution ultime, justifiée seulement quand toutes les autres options s'avèrent insuffisantes. Cette loi portait l'espoir d'en limiter le recours, voire de porter à la baisse le nombre de ceux qui en font l'objet. Or, c'est le phénomène inverse qui s'est produit. Sur les quelque 10 500 détenus qu'abritent aujourd'hui les prisons belges, près de 35% sont en détention préventive, alors qu'ils ne sont que de "simples" suspects, présumés innocents.
Le nombre d'inculpés incarcérés préventivement a plus que doublé depuis les années 1990, passant de quelque 1500 à plus de 3400. La détention préventive (son usage abusif ?) contribue donc de façon significative, mais pas exclusive, au dangereux problème de surpopulation carcérale. Une autre cause de ce phénomène se trouve dans la sévérité accrue des tribunaux, qui condamnent plus souvent qu'autrefois et prononcent des peines plus lourdes - donc, plus longues. Enfin, les libérations conditionnelles sont accordées de façon nettement plus parcimonieuse, surtout depuis l'affaire Dutroux.
Mais la loi ne doit-elle pas être revue, puisque le nombre des détenus préventifs n'a cessé d'augmenter depuis son entrée en vigueur il y a 20 ans ? Olivier Michiels s'inscrit en faux : « C'est une bonne loi, avec de solides garde-fous. Le problème ne vient donc pas du texte lui-même, mais de la manière dont il est appliqué. Car il y a, effectivement, beaucoup de personnes en détention préventive alors qu'elles ne devraient pas y être. Mais, quand un accident de roulage se solde malheureusement par la mort d'une personne, le public accepte mal que le conducteur soit remis en liberté, alors que la détention préventive n'est peut-être pas justifiée à son égard. »
La pression sociale, le sensationnalisme de certains médias, les inquiétudes sécuritaires : ces ingrédients contribuent-ils à un climat général qui pousserait les juges à remplir les prisons au-delà du raisonnable ? Le monde judiciaire est-il influencé par ce "bruit de fond" qui l'incite confusément à une répression accrue et à un usage sourcilleux du principe de précaution ? Benoît Dejemeppe, conseiller à la Cour de cassation et professeur aux Facultés Saint-Louis de Bruxelles, aborde cette question dans la préface qu'il consacre au livre d'Olivier Michiels, Daisy Chichoyan et Patrick Thevissen : « La justice ne manœuvre pas dans un monde aseptisé. (...) Les débats sur la détention préventive prennent la forme d'un duel entre les impératifs de sécurité et les exigences de la liberté (...). La tâche a toujours été délicate, mais elle est plus difficile à une époque où la notion de sécurité a pris une place déterminante dans un environnement marqué par une fracture sociale (...). La détention préventive fonctionne comme un miroir de la tolérance sociale à l'égard des diverses formes de délinquance. (...) L'évitement de l'enfermement et le recours à des mesures alternatives nécessitent des prises de risque, un affranchissement du climat ambiant parfois alimenté par la pression policière ou médiatique. (...) Un jour viendra où il faudra (...) élargir l'éventail des mesures alternatives, comme le recours à la surveillance électronique, approfondir les possibilités de médiation et envisager une technique plus radicale, celle du plafond dans le temps par le levée de la détention au-delà d'un certain délai. Les pays qui ont suivi cette voie ne sont pas pour autant devenus des terres de brigandage. »
Jacques Gevers
* Olivier Michiels, Daisy Chichoyan, Patrick Thevissen, La détention préventive, éditions Anthemis, Louvain-la-Neuve, 2010.