La bactérie NDM-1 a fait la "une" cet été. Cette bactérie - New Delhi métallo-bêta-lactamase - résiste à toute une série d'antibiotiques. Un patient bruxellois accidenté au Pakistan, rapatrié en Belgique, est décédé suite à une infection que les médecins n'ont pu maîtriser. Le point sur un risque - encore rare chez nous mais réel - avec le Pr émérite Jean-Marie Frère, du Centre d'ingénierie des protéines (CIP), et Pierrette Melin, chef de laboratoire du service de microbiologie médicale du CHU.
Le 15e jour : Pouvez-vous nous parler de la
bactérie NDM-1 ?
Jean-Marie Frère : La bactérie doit son nom à un enzyme, la beta-lactamase NDM-1 qu'elle produit et qui la rend résistante à toute une série d'antibiotiques de la famille des pénicillines (ou bêta-lactamines). L'enzyme en question est en effet capable de détruire les molécules de l'antibiotique, annulant ainsi son action et permettant à l'infection de gagner du terrain jusqu'à provoquer, parfois, une septicémie fatale. Après les pénicillines, les céphalosporines, puis les carbapénèmes ont donné d'excellents résultats dans la lutte contre les maladies infectieuses mais, dans les années 1980-1990, on a vu apparaître les bêta-lactamases à zinc (métallo-bêta-lactamases) qui, associées à une bactérie pathogène, se sont révélées extrêmement dangereuses car elles détruisent les antibiotiques bêta-lactamines à large spectre qui ne parviennent donc pas à éradiquer les souches productrices.
Dans le laboratoire du CIP, nous étudions ce type de bêta-lactamases depuis plus de 15 ans (nos publications constituent une référence dans ce domaine) et nous participons - avec d'autres laboratoires européens - à la recherche d'inhibiteurs de ces enzymes. Apparue en Inde, cette bactérie NDM-1 est aussi connue en Grande-Bretagne (cf. une très récente étude publiée dans le Lancet infectious diseases du 11 août dernier), deux pays en relation étroite dans le premier, la consommation d'antibiotiques est à peine contrôlée... La bêta-lactamase NDM-1 est d'autant plus dangereuse que le matériel génétique qui permet sa production est porté par des éléments facilement transmissibles et que, comme un malheur ne vient jamais seul, ces éléments contiennent aussi des gènes conférant la résistance à d'autres familles d'antibiotiques.
Le 15e jour : Où en est aujourd'hui la recherche de molécules permettant de contrer les métallo-bêta-lactamases?
J-M.F. : Nulle part, hélas, car ni les pouvoirs publics, ni l'industrie pharmaceutique ne se préoccupent du problème. En 1993, le CIP a commencé une étude sur les enzymes métallo-bêta-lactamases. Le FNRS et les PAI nous ont accordé des crédits pour la recherche fondamentale ainsi que la Commission européenne dans le cadre des programmes de formation des chercheurs. Mais cette dernière n'a pas classé le projet dans ses priorités au niveau des programmes "Santé" du FP7. Par ailleurs, nos travaux ont montré assez rapidement que nous ne pourrions probablement pas trouver un médicament à large spectre capable - comme l'Augmentin par exemple - d'une part d'inactiver n'importe quelle métallo-bêta-lactamase puis, d'autre part de tuer la bactérie pathogène. C'est sans doute ce qui a découragé l'industrie pharmaceutique qui s'oriente de plus en plus vers les maladies chroniques...
En 1999, nous avons attiré l'attention des pouvoirs publics sur les risques sanitaires de cette situation. En vain. Plus récemment, en 2008, nous avons signé un manifeste avec d'autres laboratoires européens afin, une nouvelle fois, de sensibiliser les bailleurs de fonds. Toujours en vain. Et pourtant, la résistance aux antibiotiques est aussi un problème économique : les personnes hospitalisées, si elles contractent une bactérie pathogène contre laquelle un antibiotique classique n'agit pas immédiatement, restent plus longtemps à l'hôpital. Aux frais de la sécurité sociale. Peut-être le cas récent du patient décédé après avoir contracté une infection au Pakistan secouera-t-il les consciences ?
Le 15e jour du mois : Certains pays autorisent la vente libre d'antibiotiques. Qu'en pensez-vous ?
Pierrette Melin : C'est un non-sens. En Inde et au Pakistan comme dans de nombreux pays pauvres, l'absence de politique de contrôle de l'usage des antibiotiques exerce une pression sélective en faveur des bactéries multi-résistantes. Hors contrôle médical, les patients font trop souvent un mauvais usage de ces antibiotiques : ils arrêtent le traitement trop tôt alors que les bactéries, affaiblies, ne sont pas éliminées. Elles redoublent d'activité ensuite ! La Grèce, la Turquie et les pays nord-africains représentent des réservoirs sérieux de bactéries multi-résistantes.
Au CHU, nous prenons fréquemment en charge des patients en provenance de l'étranger (le plus souvent mais pas exclusivement après un séjour hospitalier dans un pays "à risques"). Quelques fois, hélas, ces patients sont porteurs de bactéries multi-résistantes aux antibiotiques, ce qui limite nos options thérapeutiques. Certains médecins réutilisent une molécule assez ancienne, la colistine, qui s'avère efficace dans certains cas... mais dont l'activité est toxique pour les reins. Une molécule plus récente, la tigécycline, a donné quelques résultats satisfaisants ; les hôpitaux, parfois, tentent d'associer certains antibiotiques mais sans garantie de succès.
Si les craintes pour la santé du patient sont réelles, les biologistes redoutent en outre que les bactéries productrices de NDM-1 se transmettent à d'autres patients et que les gènes de résistance NDM-1 se transmettent par ailleurs à d'autres espèces bactériennes. En Belgique, aujourd'hui, le risque d'être infecté par une bactérie NDM1 est quasi nul, mais le rapport provenant de Grande-Bretagne sur la dissémination rapide de ces bactéries renforce l'importance du problème et invite à la plus grande vigilance.
Le 15e jour du mois : Que préconisez-vous ?
P.M. : Très rapidement, lorsqu'un cas se présente, des mesures de contrôle d'hygiène hospitalière sont prises : lavement fréquent des mains pour le personnel soignant, port de masques, confinement du patient, stérilisation des chambres, etc. Récemment, le Centers for Disease Control and Prevention (CDC) des Etats-Unis a recommandé une systématisation des dépistages chez les personnes ayant séjourné dans un pays - a fortiori dans un hôpital - "à risque". Faudra-t-il en arriver là en Europe ? En effet, pour identifier un cas, assurer sa prise en charge rapide et efficace et prendre des mesures de contrôle d'hygiène, il faut avoir isolé et identifié ces bactéries dans des prélèvements de patients.
En Belgique nous disposons de laboratoires de très bon niveau et la recherche microbiologique est dynamique. Depuis plusieurs années, des efforts sont faits au niveau local et national pour informer, contrôler et aider les laboratoires à faire de bons antibiogrammes et à identifier ce genre de bactéries multi-résistantes. En microbiologie au CHU de Liège, nous nous sommes très impliqués dans le développement et la création du comité national de l'antibiogramme (NAC), en collaboration avec le comité européen de l'antibiogramme EUCAST. Nous avons aussi des programmes de recherches concernant l'identification et la maîtrise de ce type de bactéries.
La dissémination rapide de ces bactéries NDM1 observée en Inde et au Pakistan dans les hôpitaux mais aussi chez les patients de la communauté prédit un scénario très inquiétant et il est grand temps de lancer de nouveaux programmes de recherche afin de renouveler et de diversifier encore notre arsenal thérapeutique antibactérien.
Propos recueillis par Patricia Janssens - Photo : F.D.