Octobre 2010 /197

Sur la voie de l’éveil

Le Centre d’études japonaises de l’ULg traduit une passion grandissante pour le Japon

Japon01Nouveauté de la rentrée 2010-2011 : le Centre d’études japonaises (CEJ) ouvre ses portes. La création de ce centre consacré à la fois à la langue, à la culture et à la civilisation nipponnes témoigne de la fascination croissante pour le Japon, une passion qui plonge ses racines dans la seconde moitié du XIXe siècle. L’ULg avance à grands pas vers le pays du Soleil levant.

“Une croissance
qui fait des envieux”

Prenant la relève de l’ancien Centre d’études japonaises de l’université de Liège (Cejul), cher au Pr Jean Englebert aujourd’hui émérite, l’initiative résolument ancrée dans la faculté de Philosophie et Lettres s’inscrit à présent dans un cadre académique sous la direction d’Andreas Thele, acquis depuis belle lurette aux arcanes de la pensée nipponne. Après des études de philologie et de philosophie, le chercheur se passionne en effet pour le confucianisme et pour les cultures asiatiques. Il apprend le chinois, le japonais, pratique l’aïkido, s’intéresse à la cérémonie du thé et aux arts traditionnels. De 1989 à 1991, grâce à une bourse du gouvernement japonais, il entame des recherches à l’université de Tsukuba au Japon puis présente, dans la foulée, un doctorat à Düsseldorf. C’est en Belgique cependant qu’il commence sa carrière d’enseignant, à l’Ecole d’interprètes internationaux de Mons et au Cejul de l’ULg. Aujourd’hui à la tête du CEJ, il est heureux d’annoncer que le centre est «  le premier de ce type en Wallonie. »

Japon02Certes, la rapide modernisation du Japon depuis la guerre et ses succès technologiques en font un sujet de choix. Avec des entreprises comme Sony, Yamaha ou Toyota, ce pays est devenu un des acteurs économiques les plus importants de la planète, pays qui s’est hissé, avant la Chine, sur le devant de la scène internationale. « Mais ces aspects ne sont pas les seuls à justifier l’intérêt pour l’Extrême-Orient, remarque Andreas Thele. Il y a une grande fascination chez les Occidentaux pour l’écriture, la culture zen, la cérémonie du thé, etc. Je pense que nous avons beaucoup à apprendre de ce mode de vie (là-bas, les trains n’ont pas de retard !) et, dans l’instabilité philosophique qui caractérise notre société occidentale, nous pouvons trouver une source d’inspiration dans les traditions, le raffinement et la sérénité qui y ont cours. »

Enseignante de langue japonaise au CEJ, Kanako Goto, docteur de l’ULg, a remarqué, à Liège notamment, un véritable engouement pour la graphie et la sonorité de la langue japonnaise. « Ce sont les mangas qui déclenchent la passion des jeunes, dit-elle. Ils ont grandi avec ces bandes dessinées et ces dessins animés et veulent dès lors comprendre, de l’intérieur, l’histoire, l’intrigue, les tournures et le système de pensée des Japonais. Nous recevons également des demandes de personnes plus âgées, admiratrices de la culture traditionnelle raffinée, de la calligraphie ou de la cérémonie du thé. Entre les deux, il y a des personnes qui, motivées par des perspectives professionnelles, veulent perfectionner leur connaissance de la langue. »

“Des ponts culturels
depuis 150 ans”

Au début du XVIIe siècle, le Japon s’est fermé au monde occidental. Pendant 250 ans. Le temps de susciter dans nos régions fantasmes et mystères. En 1853 – telle la fleur du lotus dans un beau matin du printemps –, le pays a refait surface et envoyé des missions diplomatiques en Europe et dans le Nouveau Monde, afin de réinstaurer les relations internationales et (principalement ?) de débusquer les clés de la révolution industrielle.

Japon03Parallèlement, ce voile de mystère, enfin soulevé et doublé d’un exotisme sans pareil, va susciter l’admiration des artistes de la modernité ainsi que de la jeune classe bourgeoise. « Les soieries, les paravents, les kimonos vont influencer l’art de la seconde moitié du XXe siècle, dans lequel on verra s’insérer des motifs japonais, développe Julie Bawin, première assistante à l’ULg, spécialisée dans le japonisme et l’art contemporain. “La Japonaise” de Claude Monet, par exemple, est un portrait de sa femme en kimono. Toute une série de motifs issus des estampes de l’école Ukiyo-e, née pendant la fermeture du Japon, vont germer dans les œuvres occidentales : les geishas, les acteurs Kabuki (nouveau théâtre formé par la bourgeoisie durant cette période) et, enfin, les paysages (ceux de Hokusai et de Hiroshige en particulier). L’art japonais apporte également des nouveautés au niveau stylistique et compositionnel, comme celle de la fragmentation de l’image par le cadrage. Dans le contexte de la modernité, marquée par l’avènement de la photographie qui bouleverse les représentations du réel, le japonisme devient un modèle permettantt aux artistes de rompre avec les canons académiques. »

La bourgeoisie, elle aussi, va s’intéresser aux accessoires orientaux. Les frères Goncourt, par exemple, organisent des soirées et des dîners japonisants. Mais cet engouement est essentiellement d’ordre esthétique alors que le pays, lui, dans une synergie magnifique oscillant entre industrialisation et tradition, rattrape rapidement les nations développées et tutoie les plus grandes entreprises de l’époque. Si l’engouement reste donc relativement superficiel, très vite, une volonté d’érudition accompagne cette fascination. Et la japonologie intègre les milieux académiques des universités, notamment à travers les efforts de Léon de Rosny pour la France et de Hans de Winiwarter qui participe à la création, au sein de l’université de Liège, de cours libres de langue japonaise (1906-1921) et d’art de l’Extrême-Orient (1906-1921, 1926-1942).

Japon04La mode japonisante s’essouffle cependant à partir des années 1930. Les mouvements avant-gardistes comme le dadaïsme et le surréalisme s’intéressent moins à l’art japonais et les critiques à l’égard du régime militaire du Japon se font de plus en plus vives. « L’écrivain Henri Michaux traduit cette tendance avec son ouvrage “Un barbare en Asie” paru en 1933, reprend Julie Bawin. Le Japon, son gouvernement et sa politique sont pointés du doigt. Mais après le choc de Nagasaki et d’Hiroshima en 1945, le regard change et les artistes, un peu de la même manière que ceux du XIXe siècle, vont trouver dans le raffinement de l’art japonais, et particulièrement dans la calligraphie, une philosophie de l’art et une technique qui correspondent à leurs attentes. Des peintres comme Pierre Alechinsky et Jackson Pollock vont développer l’abstraction lyrique à travers la spontanéité, l’élan gestuel et corporel de la calligraphie. Même s’il faut noter une différence de taille : la calligraphie a une signification concrète là où l’abstraction lyrique n’en a pas. C’est d’un point de vue exclusivement esthétique que l’art japonais va fournir aux artistes occidentaux le matériau qu’ils recherchent. »

Comme lors de la première vague du japonisme, la bourgeoisie va renouveler son attachement à la culture nipponne. A partir des lannées 1980, les Occidentaux se mettent à raffoler des mangas, des arts martiaux ainsi que de la culture zen, de la cérémonie du thé, des futons qui remplacent peu à peu nos vieux matelas. Au-delà de ses multinationales, le Japon pénètre les esprits et devient synonyme de raffinement et de bon goût, bref un pays avec lequel il faut compter sur les plans artistique, philosophique, politique et économique.

Philippe Lecrenier
Photos : © B. Renson, J. Englebert

Voir le dossier à paraître sur le site www.culture.ulg.ac.be

Contacts : tél. 04.366.98.49, courriel edith.culot@ulg.ac.be et kgoto@ulg.ac.be,
site www.cej.ulg.ac.be

• A l’invitation de l’ULg et du département des relations internationales, l’ambassadeur du Japon en Belgique, M. Yokota, a été reçu à Colonster le 28 juin dernier. Il s’était alors félicité de la création du Centre d’études japonaises et avait promis de venir saluer son inauguration. C’est donc avec plaisir que le CEJ et HEC-ULg l’ont invité à donner une conférence, le jeudi 28 octobre à 18h, sur le thème de la géopolitique de l’Asie orientale.

Salle académique, place du 20-Août 7, 4000 Liège.
Contacts : tél. 04.366.98.49


Le lundi 22 novembre à 19h
Concert-danse Gagaku.
Musique de cour traditionnelle japonaise comprenant des instruments, des chants et de la danse.

Salle académique, place du 20-Août 7, 4000 Liège.
Contacts : kgoto@ulg.ac.be

|
Egalement dans le n°269
Éric Tamigneaux vient de recevoir le prix ACFAS Denise-Barbeau
D'un slogan à l'autre
Résultats de l'enquête auprès de "primo-arrivants" en faculté des Sciences
21 questions que se posent les Belges
Le nouveau programme fait la part belle à l’histoire de la cité
Panorama des jobs d'étudiants