L’émergence des nouvelles familles représente l’un des changements démographiques majeurs des sociétés occidentales. Monoparentales, adoptives, immigrées, interculturelles ou homosexuelles, ces familles s’écartent du modèle “classique” et posent désormais de nouvelles questions aux chercheurs et aux spécialistes de la psychologie de la famille. « Ce n’est que durant ces 20 dernières années que la thérapie familiale a été attentive à cette évolution majeure », constate Salvatore D’Amore, chargé de cours au département personne et société de la faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation et directeur du service de clinique systémique et de psychopathologie relationnelle.
Besoin d’empathie
Etudier ces familles n’est pas chose aisée car chaque modèle familial comporte des particularités propres à sa composition, son genre, sa culture, son ethnie ou sa religion. Un ouvrage, qui sortira à la fin du mois d’octobre aux éditions De Boeck, sous la direction de Salvatore D’Amore – Les nouvelles familles : approches cliniques – , veut combler un vide à leur propos dans la littérature scientifique et, tout en proposant un panorama des principales approches cliniques, entend attirer l’attention des thérapeutes et des éducateurs sociaux dans leur ensemble.
Depuis les années 1960, et davantage encore depuis les années 1980, le modèle de la famille traditionnelle a cédé la place à un modèle plus diversifié. En Europe aujourd’hui, 20% des familles sont monoparentales. « Ce phénomène n’est pas nouveau, tempère le chercheur. Dans le passé, les familles n’étaient pas plus stables qu’aujourd’hui et présentaient déjà une géométrie variable : décès, guerres, maladies, grossesses imprévues, adoptions et risque de ne pas grandir dans sa propre famille d’origine étaient autant de cas de figure réels. Les familles élargies pouvaient inclure, outre les membres unis par des liens de sang, d’autres membres comme des enfants illégitimes, des orphelins, des cousins, des neveux, des travailleurs, des nourrices ou des enfants issus d’un précédent mariage.» Aujourd’hui, la grande prolifération de compositions familiales différentes et de configurations affectives informelles que l’on appelle “familles non traditionnelles” ou “familles choisies” semblent perpétuer cette tradition.
« Ce qui est neuf par contre, c’est que cette situation n’est plus due “aux accidents de la vie” mais à des choix d’adultes. Des choix que la société n’a pas toujours acceptés. Les autorités, la population mais aussi les thérapeutes ont alors considéré les nouvelles structures familiales comme déviantes, voire déficitaires par rapport au modèle standard. » La littérature psychologique a eu en effet tendance à se focaliser sur les troubles que les divorces, les migrations et les adoptions engendrent chez les enfants par exemple. « Comme si les nouveaux modèles de famille ne produisaient que des problèmes. Comme si la structure familiale prédestinait au bien-être des enfants », s’étonne Salvatore D’Amore.
Ce kaléidoscope familial interpelle actuellement les thérapeutes, car les familles sont en proie à un stress profond. « Dans notre centre, poursuit-il, nous recevons des familles monoparentales en souffrance, confrontées à trois difficultés majeures : le manque d’argent, la surcharge éducative et la solitude. » L’angoisse est permanente chez les mères à propos du devenir de leur enfant. Cependant, ces familles ne sont pas “malades” : elles sont globalement éprouvées par un phénomène de “perte”. Elles doivent faire le deuil d’un certain nombre de choses : deuil du couple, deuil du père ou de la mère, deuil de la fratrie parfois, deuil de la famille du départ, etc.
Surmonter les épreuves
« Face à de tels bouleversements, continue Salvatore D’Amore, il nous paraît important d’adopter une approche thérapeutique basée sur la résilience. La mère, le père et les enfants doivent accepter la nouvelle situation pour apprendre à vivre “sans”. C’est ce qu’on appelle la capacité de résilience, celle qui permet de surmonter les épreuves avec ses propres ressources. Le modèle de la résilience familiale tel que Froma Walsh le propose m’a immédiatement paru très pertinent car il permet d’identifier au sein de ces familles, non seulement les ruptures et les pertes, mais aussi les ressources et les opportunités que l’on peut activer à travers un travail qui prévoit la participation active de tous les acteurs présents dans les contextes de vie du mineur. » La psychothérapie avec ces nouvelles familles est ainsi conçue comme un contexte d’activation de ressources internes et externes.
L’ouvrage de Salvatore D’Amore – qui sera présenté à l’occasion du séminaire du Pr Vittorio Cigoli le 15 octobre (voir encart) – montre un panorama de différentes expériences cliniques et de solutions apportées. Mais il est aussi l’occasion de nous interroger sur la notion contemporaine de la famille, un concept qui a beaucoup évolué avec le temps, ce qu’illustrera la conférence du professeur milanais qui nous invite, sur le thème des structures familiales, à un voyage pictural à travers les siècles.
Patricia Janssens
| “Portraits de famille : le modèle relationnel symbolique”. Vendredi 15 octobre, 9h30 à 17h. Séminaire organisé par le service de clinique systémique et de psychopathologie relationnelle. Par le Pr Vittorio Cigoli (université catholique de Milan). Salle académique, place du 20-Août 7, 4000 Liège. Contacts : tél. 04.366.22.72, courriel audrey.laeremans@ulg.ac.be |