La Belgique a longtemps souffert de l’absence de données fiables et complètes sur sa population étrangère. Depuis quelques années heureusement, le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme et le SPT Economie produisent des données démographiques très utiles. Mais il manquait jusqu’à aujourd’hui des données fiables sur le marché du travail des étrangers. L’ouvrage de Serge Feld* vient combler cette lacune.
Cela a été possible grâce au dernier recensement (mais il date de 2001) qui contenait en effet davantage de questions relatives à l’activité économique. Précisons cependant que, comme en général pour les données démographiques, toutes les données concernent les étrangers, c’est-à-dire des personnes qui résident en Belgique sans avoir la nationalité belge. Le recensement de 2001, en effet, pas plus que les précédents, ne livre des renseignements sur l’origine des Belges. Or on sait que des changements de législation ont permis des naturalisations en grand nombre, notamment dans les communautés turques et marocaines. Devenus Belges, ceux-ci n’entrent donc plus dans les statistiques portant sur les étrangers et ne sont donc pas concernés par les travaux du Pr Feld.
Education et emploi
Le premier chapitre de l’ouvrage est consacré au niveau d’éducation de la population étrangère. Les données montrent que la Belgique est proche de la dernière place dans le classement international en ce qui concerne les performances scolaires des étrangers par rapport aux nationaux. Certaines communautés (marocaine et turque) comptent proportionnellement beaucoup moins de diplômés du supérieur que parmi la population belge et, surtout, cela ne paraît pas s’améliorer avec le temps puisque la performance est plus mauvaise pour les étrangers nés en Belgique (immigrés de seconde génération) que pour les primo-arrivants.
A noter pourtant que, dans ce domaine comme tous les autres analysés dans l’ouvrage, la Flandre s’en tire bien mieux que la Wallonie et Bruxelles.
Quant à l’emploi, le taux d’activité est dramatiquement plus faible pour les étrangers que pour les Belges, jusqu’à être quasi inexistant dans certaines communautés, notamment les femmes marocaines et turques dont un quart à peine sont disponibles pour le marché du travail. Le taux de chômage est également bien plus élevé chez les étrangers (22%) que chez les Belges, avec là aussi des contrastes très importants selon les nationalités quasi inexistant chez les Néerlandais (4,4%,) il est de 44% chez les Congolais. Pour les femmes, c’est à nouveau les Néerlandaises qui se distinguent (11%) au contraire des Marocaines et Turques (56%).
Surqualification
Si le marché du travail fait également l’objet d’une analyse (on y voit par exemple très bien la concentration de certains étrangers dans des secteurs d’activité), un dernier chapitre du livre, sans doute le plus original, se penche sur l’adéquation entre les professions exercées par les étrangers et leur qualification. « Cette correspondance entre emploi et qualification concerne bien entendu avant tout le bien-être individuel des étrangers, explique Serge Feld. Mais c’est aussi un problème économique. Une société doit veiller à ce que ses investissements en éducation soient rentables et à utiliser de façon optimale les qualifications de ses travailleurs. » L’ouvrage montre qu’il n’en est rien dans notre pays. Et que les chiffres cachent bien sûr des disparités.
Ainsi, aux deux extrêmes, si les Anglais sont à 90% occupés dans des professions qui correspondent à leur niveau de formation, Turcs et Marocains ne sont que 15% dans ce cas ! Certes, cette surqualification (par rapport au travail effectué bien sûr) des travailleurs étrangers est présente dans tous les pays de l’OCDE, mais elle est plus importante en Belgique et, surtout, souligne Serge Feld, « notre pays est le seul où le taux de surqualification de la population née à l’étranger augmente de manière considérable avec la durée de présence dans le pays » !
Henri Dupuis
Article complet sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Société/économie)
* Serge Feld, La main-d’oeuvre étrangère en Belgique, Academia-Bruylant, Louvain-la-Neuve, 2010.