La migraine est une affection très répandue qui touche environ 15% de la population (dont trois fois plus de femmes que d’hommes). Malgré sa grande prévalence et les nombreuses études scientifiques qui sont menées pour mieux comprendre son origine et mieux la traiter, elle parvient encore à faire des mystères.
Fin août, dans la revue Nature Genetics, un article participe à la levée d’une partie du voile : il met à jour une particularité génétique de susceptibilité à la migraine avec et sans aura, soit les migraines les plus fréquentes ou “communes”. « C’est le premier lien génétique formel pour ces formes de migraines », explique le Pr Jean Schoenen, directeur de l’unité de recherche sur les céphalées (département de neurologie et Giga-neurosciences) de l’ULg, un des auteurs de l’étude menée dans le cadre du projet européen Eurohead.
Un travail titanesque
En rassemblant leurs efforts, les chercheurs de 40 centres en Europe ont étudié les données génétiques de plus de 50 000 individus et comparé ainsi un très grand nombre de génomes de personnes souffrant de migraines et de personnes “saines”. La cohorte des patients du CHU représente 10% de l’échantillon global. Les prélèvements d’ADN réalisés au service génétique du CHU de Liège ont été envoyés en Finlande et aux Pays-Bas pour l’analyse.
Les chercheurs ont passé au crible plus de 400 000 marqueurs génétiques au sein de l’ADN des patients. « Un seul s’est révélé significativement plus fréquent chez les migraineux, explique Jean Schoenen, et plus particulièrement chez ceux présentant des crises de migraine avec aura, c’est-à-dire dont les crises débutent par des troubles de la vue. » La séquence d’ADN révélée par les scientifiques n’est pas véritablement un gène mais bien une région dite “intergénétique” située sur le chromosome 8. « Cette empreinte génétique se situe entre deux gènes dont on connaît la fonction », précise le spécialiste de la douleur céphalique.
Quel rôle cette région joue-t-elle dans l’apparition de migraines ? « Des chercheurs finlandais ont montré que lorsqu’ils insèrent le polymorphisme récemment identifié de cette région dans des cellules lymphoïdes, celui-ci interagit avec les deux gènes qui l’entourent et qui sont impliqués dans la régulation du glutamate », répond Jean Schoenen. Or, s’il est un acteur important de la transmission de l’influx nerveux entre les neurones, le glutamate, en s’accumulant, peut provoquer des effets pathologiques. Afin de les éviter, les cellules gliales (astrocytes) ont la responsabilité de capturer le glutamate excédentaire au niveau des synapses. Mais, reprend Jean Schoenen, « une des protéines indispensables à cette recapture est modulée négativement par la présence du polymorphisme de la région intergénétique trouvé chez les migraineux. »
Trop de glutamate
Une nouvelle hypothèse est dès lors formulée : la particularité génétique pourrait être à l’origine d’une mauvaise régulation de la concentration en glutamate, favorisant son accumulation dans la synapse et expliquant pourquoi le cerveau des migraineux répond excessivement aux stimuli extérieurs répétitifs. Selon Jean Schoenen, cela pourrait aussi expliquer pourquoi épilepsie et migraine peuvent aller de pair. « Les personnes atteintes de migraines avec aura ont deux fois plus de risque d’être sujets à des crises d’épilepsie. Un défaut du contrôle du glutamate pourrait être un des points communs entre ces deux maladies », indique le professeur.
Si l’hypothèse se confirme, ces nouvelles données devraient inciter les scientifiques et firmes pharmaceutiques à développer des médicaments anti-migraine agissant de manière plus ciblée sur le système glutamatergique.
Audrey Binet
Article complet sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Vivant/médecine)