Octobre 2010 /197
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Le point sur le cannabis

5 questions à Etienne Quertemont


QuertemontEtienneEtienne Quertemont est chargé de cours au département des sciences cognitives de la faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation.

Le cannabis est un sujet qui suscite la discussion et comporte son lot d’assertions, de contrevérités et d’idées reçues. Consciente de cet état de fait, la cellule drogues de l’université de Liège publie un livre qui tente d’aller plus loin que les débats sclérosés par des arguments idéologiques et irrationnels. Sous la direction du Pr Vincent Seutin, Jacqueline Scuvée-Moreau et Etienne Quertemont, Regards croisés sur le cannabis propose un état des lieux dépassionné et apporte des éclairages et éléments de réponse aux questions que tout le monde se pose. L’approche se veut résolument pluridisciplinaire et l’ouvrage fait la part belle à des disciplines variées comme la psychologie, la neurobiologie, la toxicologie, l’épidémiologie, la sociologie ou encore le droit. 

S’il s’adresse un grand public “éduqué”, le livre publié chez Mardaga garde la rigueur scientifique d’usage. Rencontre avec Etienne Quertemont, co-initiateur du projet.Cannabis-Cover

Le 15e jour du mois : Marijuana, cannabis, haschich, shit, herbe : qu’est-ce que le cannabis ?

Etienne Quertemont : Le cannabis est le nom scientifique du chanvre, lequel recouvre plusieurs variétés de plantes exerçant des effets psychotropes. La principale molécule responsable de ces effets est le THC. La marijuana, composée des feuilles et des fleurs séchées de la plante, est habituellement fumée, le plus souvent roulée avec du tabac, ou simplement à l’aide d’une pipe. Le haschisch, que l’on fume également, est une résine extraite de la plante qui est ensuite compressée pour obtenir un cube ou un bloc. Il est en général plus concentré en THC que la marijuana. Enfin, de l’huile à forte teneur en THC peut également être produite à partir de la plante et utilisée dans diverses préparations culinaires, mais son usage est plus rare que les deux précédents.

Le 15e jour du mois : Comment agit-il ?

E.Q. : On a assisté au cours des 20 dernières années à une explosion des connaissances dans ce domaine. En fait, nous avons dans notre cerveau des molécules de neurotransmetteur qui agissent sur les mêmes récepteurs (les cannabinoïdes ) que ceux sur lesquels agit le THC. Mais ces neurotransmetteurs sont normalement produits de manière très ponctuelle et très limitée dans l’espace, de sorte qu’à un moment donné, seule une petite fraction de ces récepteurs est activée de façon endogène. Par contre, la consommation de THC produit un “tsunami biologique”, au cours duquel tous les récepteurs cannabinoïdes du cerveau sont activés de manière simultanée et durable (le temps de l’exposition), ce qui explique toutes les altérations des fonctions cérébrales que l’on observe au cours de l’exposition. Heureusement, il s’agit d’une altération fonctionnelle passagère et qui semble peu  toxique, c’est-à-dire qui ne détruit pas les neurones, contrairement à l’exposition à une grosse dose d’ecstasy par exemple.

Le 15e jour : Au niveau des effets, quels sont les risques ?

E.Q. : Le cannabis peut provoquer une addiction, même si le risque est moins élevé que pour d’autres drogues comme le tabac ou l’alcool, pour ne citer que des substances légales. Mais la faible dépendance liée au cannabis ne veut pas dire qu’elle n’existe pas. Contrairement à une croyance répandue, l’abus chronique de cannabis peut en effet produire une dépendance psychologique, mais aussi une réelle dépendance physique avec syndrome de sevrage à l’arrêt de la consommation. Toutefois, cette dépendance une fois établie reste moins sévère que celles d’autres drogues majeures telles que l’alcool, la cocaïne et l’héroïne et surtout  ne concerne qu’une fraction des consommateurs de cannabis.

Au niveau des risques pour la santé, si on prend le cas d’un usage quotidien, régulier et soutenu, ils sont assez similaires à ceux encourus avec la cigarette : risques cardiovasculaires et respiratoires, mais aussi troubles de la mémoire, de la concentration ainsi qu’une perte de motivation. C’est ce qu’on appelle le syndrome “amotivationnel” qui touche les gros consommateurs. La consommation répétée de cannabis avant que le cerveau n’arrive à maturité (vers 18-20 ans) pose cependant un problème particulier. Peu de données scientifiques rigoureuses existent sur la dangerosité de cette pratique, mais le principe de précaution nous pousse à recommander de l’éviter. D’un point de vue thérapeutique cependant, le THC peut être indiqué à l’hôpital pour traiter certaines douleurs chroniques ou certains glaucomes notamment.

 


Le 15e jour : De nombreuses idées reçues circulent à propos du cannabis : l’une d’elles voudrait qu’il soit la porte d’entrée vers un usage plus intensif des drogues et pousserait, en particulier, à un glissement vers les drogues dites “ dures”. Qu’en pensez-vous ?

E.Q. : Scientifiquement parlant, la distinction entre la “drogue dure” et la “drogue douce” n’est pas objectivée. Il vaut mieux parler d’usage dur ou doux d’une drogue. L’alcool, par exemple, dont la majorité des gens font un usage plutôt modéré est une drogue qui peut être très nocive à fortes doses et en usage chronique. Dans ces conditions, l’alcool est certainement plus nocif que le cannabis. On peut donc très bien imaginer un usage dur d’une drogue douce. Quant au glissement supposé qu’entraînerait le cannabis vers les drogues plus nocives telles que l’héroïne ou la cocaïne, il faut rester prudent. Si, d’un point de vue purement statistique, on peut effectivement constater une association, l’existence d’un lien de causalité – ce qui est différent – n’est pas démontrée.

Le 15e jour : Sa consommation est-elle légale en Belgique ?

E.Q. : Non. Mais les aspects juridiques qui encadrent l’usage du cannabis sont très complexes. Dans notre pays, contrairement à ce qu’on imagine, la détention de cannabis demeure interdite.  Une directive ministérielle précise toutefois que la simple détention de cannabis à des fins d’usage personnel doit faire l’objet de poursuites “avec le degré de priorité le plus bas”. En d’autres termes, on ne poursuit pas dans les faits la simple détention, sauf en cas de circonstances aggravantes ou de troubles de l’ordre public. Dans le livre, nous ne traitons pas directement de la question de la dépénalisation ou de la légalisation du cannabis. Il s’agit d’une question politique, de société, et les débats qui l’entourent font intervenir des arguments bien éloignés de nos domaines scientifiques.

Propos recueillis François Colmant
Photos : © J.-L. Wertz

Regards croisés sur le cannabis
Colloque organisé par la Cellule drogues de l'ULg, le mardi 26 octobre, 13h30.
Avec la participation de nombreux chercheurs de l'ULg, de la police fédérale et du Parquet de Liège.
Amphithéâtres de l'Europe (salle 204), Sart Tilman, 4000 Liège.
Contacts : inscriptions : tél. 04.366.25.26, courrier jmoreau@ulg.ac.be
Programme sur le site www.fapse.ulg.ac.be et en PDF
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