Sous nos latitudes au moins, la “révolution numérique” semble n’avoir épargné personne. Même le mensuel de l’ULg, sans faire le pari de renoncer éternellement à l’encre et la page, n’a pas manqué de s’offrir un sobre prolongement sur le web. Car c’est là que le lecteur, s’affranchissant volontiers des rubriques et des cahiers thématiques, est occupé à réinventer le référencement de l’information par le biais des retweet et autres like, griffes des enseignes phares de la communication dématérialisée.
Presque élevée au rang de bien d’absolue nécessité, au point qu’un peu moins d’un internaute sur dix y réserve d’ores et déjà l’espace qu’occupera sur Facebook un bébé encore à naître, l’interface intangible du web ne peut plus être ignorée des salles de rédaction. Mais on oublierait presque que celles-ci, tout en s’y lançant à corps perdu, n’ont pourtant encore jamais cerné le moyen d’en tirer durablement parti. En particulier pour s’extirper de la crise que traverse la profession depuis plusieurs années, peut-être aggravée par la montée en puissance du web et de son penchant – tout de façade – pour la gratuité.
Voici planté, en somme, le décor des “Jeudis du journalisme” qui se tiendront, dès novembre, au centre culturel de Welkenraedt sous l’égide de Marc Vanesse, chargé de cours au département des arts et sciences de la communication (ULg) et ancien journaliste d’enquête au Soir. « Une série de cours typiques, sans angoisse, destinés aux profanes », annonce-t-il. Ces rencontres entre le public et le journalisme tel qu’il est enseigné à l’Université seront l’occasion d’exposés et d’échanges sur des questions de déontologie, de propriété des groupes de presse, et notamment du “péril” de la presse et des conditions de travail des journalistes dans le contexte de la révolution numérique encore en marche.
« Le maintien d’un flux continu d’informations via internet – parallèlement au tirage sur papier – a eu des répercussions assez considérables sur les gens du métier », explique François Colmant, qui consacre actuellement une thèse à la problématique tout en étant lui-même un avide consommateur d’informations en ligne. « Tout savoir sur tout réclame néanmoins des mains pour rédiger. C’est-à-dire des journalistes constamment sur le qui-vive pour relayer l’information dans la minute, fût-ce via smartphone, mais au prix – faute de temps – d’enquêtes et, surtout peut-être, de sacrifices en matière de vérification des sources. » Et donc de déontologie, canardée par les sprinters, les chefs d’édition et directeurs de publication, de moins en moins journalistes eux-mêmes et surtout guidés par des impératifs de rentabilité.
« Les grands quotidiens généralistes ont un jour imaginé que la perte du tirage papier serait naturellement compensée par une importante fréquentation des sites web, et donc une hausse des rentrées publicitaires, continue le chercheur. Or, dans le meilleur des cas, on arrive à cinq euros pour mille visites; ces rentrées publicitaires sont in fine assez dérisoires et suscitent une véritable obsession du trafic avec tout ce que cela entraîne comme dérive pour l’accroître sans cesse. L’énigme contemporaine reste donc celle-ci : quel modèle économique viable pour la presse en ligne ? »
Les essais sont aussi nombreux que disparates : version numérique plus ou moins indépendante de l’édition papier; dépêches d’agence insipides et manie du texte court pour alimenter à moindres frais les pages web; contenu intégral de l’édition papier publié en ligne; formule du “freemium”, notamment adoptée par lemonde.fr , qui limite le gratuit au-delà d’un certain nombre de consultations; gratuité des articles à J+1 du côté, notamment, du New York Times. Ou bien, comme l’ont fait rue89.fr ou Médiapart (fondés par quelques figures de la presse française), un pari exclusif sur le “tout-en-ligne”, le premier proposant un contenu fouillé mais gratuit, financé par la publicité et des formations à la communication sur le web; le second misant, quant à lui, sur un quotidien d’investigation intégralement payant, qui fut lancé il y a quelques mois grâce à l’apport de capitaux extérieurs.
« Mais Médiapart, qui espérait dépasser 70 000 abonnés et devenir rentable après trois ans, en est encore loin, conclut François Colmant, sans prophétiser la victoire de l’un ou l’autre modèle. Pour l’instant, Rue 89 démontre qu’il ne va après tout pas nécessairement de soi de payer pour bénéficier d’une information de qualité. Au-delà, il faut peut-être penser, avec l’auteur Chris Anderson, qu’internet nous a à ce point habitués au gratuit qu’il n’est, en dernière analyse, plus possible de revenir en arrière. »
Quoi qu’il en soit, d’aucuns pensent déceler, sur fond de crise et de montée en puissance du web, un regain de vigueur presque rebelle du journalisme d’investigation – celui des scoops, de la désintox et des longs articles étayés – censé réinventer le journalisme en ligne, « où lâcher une erreur ne coûte rien, s’indigne Marc Vanesse. Elle est immédiatement rattrapable dans la seconde. Mais le web a, au moins, ceci de merveilleux qu’il récupère certainement des lecteurs déçus. » Le “faites court” et les maniaques du clic n’ont qu’à bien se tenir.
Patrick Camal
| Université ouverte – Les Jeudis du journalisme Au centre culturel de Welkenraedt – Forum des pyramides, rue Grétry 10, 4840 Welkenraedt. A partir du 25 novembre, jusqu’au 13 janvier 2011. Programmation sur le site www.forumdespyramides.be |
Contacts : tél. 087.89.91.70