Organisée durant tout le mois d’octobre dernier, la manifestation “Congo 1960-2010 : Penser l’indépendance” a rassemblé à six reprises* des universitaires belges et congolais venus dialoguer sur différentes thématiques envisagées du point de vue de l’indépendance du Congo aujourd’hui (la nouvelle Constitution, les universités, la gestion de l’eau, les problèmes agro-alimentaires, les soins de santé, l’intervention active des femmes congolaises dans la politique du pays).
Ces conférences à deux voix n’ont pas seulement été l’occasion de rappeler l’important investissement de l’université de Liège dans la coopération universitaire en RDC; elles ont aussi permis que s’entende, devant un public où les Belges étaient moins nombreux que les Congolais – ce qu’on peut regretter – un dialogue scientifique belgo-congolais autour de problématiques importantes pour ce pays. Demeurée sous-jacente mais constante à travers tous les débats, l’indépendance du Congo n’est pas apparue différente de celle de tous les pays du monde actuel, y compris du nôtre : c’est bien d’interdépendance dont il faut dorénavant parler**.
Autour des conférences scientifiques, la manifestation proposait une importante programmation culturelle qui a permis au public liégeois de découvrir des photographies, des films et un spectacle de théâtre où se jouaient d’autres formes de dialogues et d’interdépendance. Des photographes et des cinéastes congolais ont fait voir une autre image du Congo, plus proche des réalités de leur pays que celle qu’en donnent les médias occidentaux. Leurs images sont entrées en résonance avec celles de cinéastes belges (parmi lesquels de jeunes diplômés en arts du spectacle de l’ULg). Le spectacle Traits d’Union, remarquable expérience théâtrale rassemblant 12 comédiens belges et congolais réunis à l’initiative de Justice et Paix, a donné corps, au sens propre du terme et non sans difficulté, à l’idée d’interdépendance.
L’importance de cette programmation dans l’ensemble de la manifestation exprime la volonté des organisateurs de donner aux échanges culturels la place qu’ils doivent occuper dans le renouvellement des liens entre la Belgique et le Congo. Aucune politique de développement n’est possible sans une connaissance approfondie et réciproque de la culture de l’autre. Si la colonisation est terminée depuis 50 ans, le néo-colonialisme économique domine toujours les relations Nord-Sud et, avec lui, l’inévitable comportement paternaliste qui anime encore, hélas, bon nombre d’Européens pétris de bonnes intentions et qui pensent très sincèrement être les dépositaires d’une vérité universelle à laquelle devraient se ranger tous les peuples du monde.
Malheureusement, la majorité de la population belge, à Liège comme ailleurs, ne connaît rien du Congo, de ses habitants et de leur culture. Les plus âgés qui se souviennent de l’ancienne colonie ne la reconnaissent plus dans les images qu’ils en reçoivent à travers les médias. Et la plupart des autres sont indifférents à ce pays lointain, en particulier les plus jeunes qui ignorent tout de la manière dont vit l’autre moitié du monde et ne savent pas que l’opulence dans laquelle ils vivent est le produit d’une inégalité fondamentale entre les êtres humains.
“L’université est un lieu
où une communauté scientifique cultive
le savoir et la pensée sur le monde”
En donnant à voir des images prises au Congo par des photographes et des cinéastes congolais, en accueillant un spectacle monté par de jeunes Belges et Congolais, en montrant des films réalisés au Congo par nos étudiants en cinéma, la manifestation a permis aux membres de la communauté universitaire et au public liégeois de découvrir une autre image du Congo qui ne peut se réduire à la guerre, aux violences faites aux femmes, aux atrocités qui sont commises ou à la mauvaise gouvernance. Il fallait au contraire offrir aux productions culturelles congolaises la possibilité d’être vues et entendues. Il fallait donner la parole aux jeunes qui, loin de toute nostalgie et de tout paternalisme, veulent construire de nouvelles relations entre deux pays qui, malgré leur histoire commune, continuent aujourd’hui de se méconnaître.
Le mot “université”, issu du latin universus (univers), signifiait, au XIIIe siècle, “communauté”. C’est donc un lieu où une communauté (scientifique) universelle cultive le savoir et la pensée sur le monde. Mais il n’y a pas de savoir sans découverte, pas de pensée sans questionnement, pas de culture sans ouverture. Pour que le projet universitaire prenne tout son sens dans le monde d’aujourd’hui, il est urgent de penser autrement les rapports entre le Nord et le Sud et de donner à la “communauté” universitaire une dimension vraiment universelle. Comme le rappelle chaque année l’initiative Campus plein Sud, le développement ne peut plus se concevoir à sens unique. Il doit être le produit d’un échange dans les deux sens, grâce auxquels nos étudiants pourront prendre conscience des réalités du monde et de tout ce que les universitaires, les intellectuels et les artistes du Sud peuvent nous apporter en termes de savoir, de connaissance et d’élévation de l’esprit, mais aussi de découvertes et de questionnements dont nous avons besoin pour notre propre développement. Sur ce plan, les universités du Nord ont encore beaucoup de chemin à parcourir.
Marc-Emmanuel Mélon
chargé de cours en cinéma et arts audiovisuels
département des arts et sciences de la communication
* Organisée par le Cecodel, en collaboration avec différents services universitaires, la manifestation a été malheureusement raccourcie, l’abbé Malu-Malu ayant été retenu in extremis à Kinshasa.
** Thématique que devait aborder l’abbé Malu-Malu lors de la dernière conférence du cycle prévue le 10 novembre. Cette conférence a été reportée à une date encore indéterminée.