Décembre 2010 /199
Décembre 2010 /199

Bien dans son assiette

Prévenir et guérir le cancer en mangeant mieux

legume02En 2000, il y a eu dans le monde 6 millions de décès dus au cancer et plus de 10 millions de nouveaux cas. Cette redoutable pathologie est aujourd’hui, dans les pays industrialisés, la première cause de mortalité avant 65 ans. En raison du vieillissement de la population, son incidence pourrait augmenter de 50 % en 2020. Si la médecine a fait d’indéniables progrès dans le traitement des tumeurs, plusieurs scientifiques pensent qu’on n’est pas là en présence d’une maladie inéluctable et affirment qu’un pourcentage non négligeable de cas pourrait être évité grâce à une modification de notre hygiène de vie, en particulier en adoptant une alimentation saine et équilibrée.

A l’ULg, Vincent Castronovo, professeur de biologie cellulaire en faculté de Médecine, sénologue et directeur du Giga-cancer, s’intéresse depuis 15 ans à la nutrition comme facteur déterminant dans la prévention du cancer et de ses récidives ainsi que dans sa prise en charge thérapeutique. Il a donné au mois de février 2010 une conférence sur ce thème dans le cadre de la fondation Léon Fredericq. Rencontre avec un précurseur en la matière, auteur notamment d’un article de synthèse dans la Revue médicale de Liège paru en 2003*.

« L’alimentation sert à la fois
à rétablir la santé et à la conserver
chez les gens qui se portent bien »
Hippocrate

Le 15e jour du mois : Comment définir le cancer ?

CastronovoVincentVincent Castronovo : Cette maladie se caractérise par la prolifération incontrôlée d’une ou de plusieurs cellules et par leur dissémination destructrice dans tout l’organisme. Ce sont des altérations génétiques et épigénétiques qui provoquent l’apparition des cellules cancéreuses. Mais pour qu’une cellule endommagée aboutisse à la formation d’un cancer détectable et capable de compromettre la santé voire la vie du patient, il faut que le système immunitaire échoue dans sa mission de destruction des cellules potentiellement dangereuses.

Le 15e jour : Connaît-on les causes de cette pathologie multiforme ?

V.C. : Il y plusieurs années déjà, le Pr Richard Peto, épidémiologiste de l’université d’Oxford, a observé que plus qu’un tiers des décès liés aux cancers est associé à une alimentation inappropriée. Le deuxième tiers est attribué au tabagisme et le tiers restant à des causes diverses comme la pollution, l’exposition aux agents cancérigènes, l’irradiation du soleil, des anomalies génétiques héréditaires… Théoriquement, il serait dès lors possible de réduire d’un tiers la mortalité liée aux tumeurs malignes en optimisant l’alimentation de la population. Cette réduction pourrait représenter 50% pour les cancers du sein, 75% pour ceux de la prostate et 70% pour ceux du côlon.

Le concept d’un rôle de l’alimentation dans la genèse des cancers n’est pas nouveau : la médecine antique faisait déjà allusion au rôle de la nutrition dans l’apparition de tumeurs. Aujourd’hui, des milliers de publications traitent de ce sujet car de multiples études ont démontré son rôle essentiel dans notre santé. Rien d’inattendu d’ailleurs ! Est-on nourri de manière optimale ? La question peut étonner dans nos sociétés d’abondance, et pourtant, paradoxalement, les carences en zinc, en fer, en magnésium, en acides gras essentiels, en vitamine D, etc., sont fréquentes et responsables de déséquilibres favorisant les risques de maladie. Dans ma pratique clinique, j’ai notamment constaté, chez les patientes atteintes d’un cancer du sein, des déficits fréquents en zinc, vitamine D, vitamine B9, et observé des résultats très encourageants dans la prévention des récidives, en corrigeant leurs habitudes alimentaires voire en leur prescrivant des compléments adaptés à leur situation personnelle.

Le 15e jour : Qu’est-ce qu’une alimentation optimale ?

V.C. : Pour réduire de manière significative les tumeurs malignes, il faut d’abord identifier les aliments qui les favorisent et ceux qui exerceraient plutôt une activité protectrice. En d’autres termes, il faut comprendre l’impact réel de l’alimentation au niveau des mécanismes de l’oncogenèse. Les scientifiques s’accordent aujourd’hui sur le fait que le stress oxydatif et le déséquilibre de la balance des acides gras polyinsaturés oméga-3 et oméga-6 contribuent à l’augmentation des risques.

Je m’explique : notre alimentation comporte trois grandes catégories de molécules (ou nutriments). La première inclut les polymères organiques (protéines, hydrates de carbone, lipides et acides nucléiques) – autrement baptisés “macronutriments” – qui apportent les substrats indispensables à notre métabolisme. Le deuxième groupe de nutriments est constitué par les vitamines et la troisième catégorie concerne les molécules inorganiques : les oligoéléments. Ces deux derniers groupes sont généralement appelés les “micronutriments”.

legume03Une alimentation optimale, c’est une nourriture qui procure aux cellules la quantité et la diversité des molécules nécessaires à leur fonctionnement. Hélas, dans nos pays industrialisés on constate fréquemment des carences en micronutriments.

Le 15e jour : Comment ces déficits se traduisent-ils dans l’organisme ?

V.C. : Une très large majorité de chercheurs et de cliniciens admet aujourd’hui qu’une alimentation inadéquate favorise la survenue d’un cancer. Sont notamment pointés du doigt les radicaux libres, les antioxydants et les déséquilibres de la balance en acides gras polyinsaturés oméga-3 et oméga-6.
Les radicaux libres sont des entités moléculaires très réactives, d’une grande instabilité et chimiquement hyperactifs. Ils sont considérés comme les premiers agresseurs de nos cellules. S’ils ne sont pas détruits par les antioxydants, ils entraînent des dommages souvent irréversibles, notamment à l’ADN. Or, nos cellules sont continuellement agressées par des radicaux libres générés par notre propre métabolisme mais aussi induits par des agents exogènes comme les rayonnements ultraviolotets, les fumées de combustion (de cigarette, de bois) et par certains produits chimiques tels que les pesticides et les solvants.

Heureusement, la cellule a développé des systèmes efficaces pour éliminer ces radicaux nuisibles, pour autant cependant qu’elle dispose en suffisance d’un ensemble de substances inorganiques comme le cuivre, le zinc et le sélénium. Par ailleurs, la cellule a besoin de molécules antioxydantes capables de capter et de détruire les molécules toxiques : ce sont notamment les vitamines A, C, E et les caroténoïdes présents dans les fruits et légumes. Dans les conditions normales, un équilibre s’installe entre la production de radicaux libres et les défenses antioxydantes. Dans le cas contraire, on parle de “stress oxydatif” responsable, pour une part, des pathologies cancéreuses. Des études ont montré par exemple qu’une carence en sélénium augmente de cinq fois le risque de cancer de la prostate alors qu’une consommation régulière de tomates, riches en lycopène, réduisait significativement le risque de développer ce type de tumeur maligne. Les scientifiques ont constaté aussi un lien entre des déficiences en vitamine B6, B9 et B12 et les cancers du côlon, du sein, de la tête, du cou et du col de l’utérus. Les données sont également très parlantes pour la vitamine D dont le déficit, très fréquent, augmente le risque de la plupart des cancers.

Idem pour certains acides gras. Les acides gras polyinsaturés (oméga 3 et oméga 6) doivent être apportés par l’alimentation, selon un rapport de 1 oméga-3/ 4 oméga-6. Or le déséquilibre est souvent flagrant, et on a remarqué une coïncidence entre l’excès d’oméga 6 et le cancer du sein, par exemple.

Toutes ces données démontrent, à mon sens, que les patients cancéreux devraient bénéficier d’une prise en charge nutritionnelle personnalisée. Ceci pourrait se faire par un bilan nutritionnel qui permettrait d’évaluer les paramètres biologiques impliqués dans la genèse des cancers et, le cas échéant, de corriger l’alimentation en apportant les nutriments manquants et en restaurant les équilibres.

Le 15e jour : Ce serait le rôle du médecin traitant ?

V.C. : Il me paraît effectivement indispensable que les professionnels de la santé soient mieux formés dans le domaine de la nutrition préventive. Ce type de formation – la médecine nutritionnelle préventive et fonctionnelle – fait déjà partie des cursus de formation médicale dans de nombreuses universités comme à Harvard aux Etats-Unis ou en France. Dans nos sociétés dont les dépenses en matière de sécurité sociale augmente en moyenne de 6% par an, revenir à une médecine basée sur le bon sens et entre autres sur une alimentation saine ne mécontenterait que… l’industrie pharmaceutique !

Propos recueillis par Patricia Janssens
Photos Jean-Louis Wertz et Catherine Eeckhout


* Revue médicale de Liège 2003 ; 58 :4 : 231-239

Dix recommandations de “bon sens”
Pour rester en bonne santé

1• Manger lentement et bien mastiquer.
2• Consacrer 50% de notre alimentation aux légumes et aux fruits, biologiques de préférence.
      Varier les couleurs.
3• 
Manger du poisson gras (150 gr, trois fois par semaine) : saumon, hareng, sardines.
      De la viande rouge, une fois par semaine au maximum.
4• Surveiller son taux de vitamine D.
5• 
Eviter l’excès d’huiles riches en oméga 6 (huile d’arachide, de tournesol, de maïs) et l’huile de palme.
      Préférer l’huile d’olive et de colza riches en oméga 3.
6• Manger des céréales complètes.
7• Eviter les sucres rapides et les céréales raffinées.
8• Ne pas fumer.
9• Faire de l’exercice physique trois fois 30 minutes par semaine.
10• Consacrer au moins une heure par jour à la détente et bien dormir.

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