L’hiver où la Belgique changea de visage

La grève générale de 1960 en colloque

Hiver 1960. Pour pallier les difficultés dues à la perte du Congo et affronter les nouvelles conditions de compétition économique en Europe, l’État belge élabore un programme de relance économique et d’austérité. Constituant la Loi unique, ces mesures sont proposées par le gouvernement social-chrétien-libéral de Gaston Eykens et visent notamment à augmenter les impôts (essentiellement sur la consommation), à exercer un contrôle plus sévère des assurances chômage et maladie et, dans le secteur public, à porter atteinte à certains droits. Ce programme entraîne, à l’hiver 1960-1961, une grande grève générale et un mouvement social d’une ampleur insoupçonnée.

Insurrection

Le 14 décembre, le quotidien syndical liégeois La Wallonie dévoile sa “une” : “Ce mercredi, grève générale”. La révolte gronde. Sous l’égide d’André Renard, le principal leader wallon de la FGTB, un million d’ouvriers débraient et plongent la Belgique dans la violence, l’affrontement de classes et la division communautaire. Si la grève s’effiloche rapidement en Flandre, les plus rudes moments surviennent après les fêtes de Noël dans le sud du pays. A Liège, la gare des Guillemins, reconstruite deux ans auparavant, est prise d’assaut et mise à sac. Dans le centre, 3000 personnes en colère brisent des vitrines, vandalisent des voitures, saccagent des magasins ainsi que le siège des organisations chrétiennes. Après le 16 janvier, la reprise progressive du travail est observée, sauf dans la sidérurgie et les grandes usines. Dans la foulée, le projet de Loi unique passe le cap de la Chambre et franchit celui du Sénat, mais l’on prédit la dissolution du gouvernement.

La fin de la “grande grève” débouche sur la création du Mouvement populaire wallon, lequel revendique l’autonomie wallonne et des réformes de structures afin d’assurer le développement de la Wallonie et d’instaurer le fédéralisme. « Ceci est intéressant en termes de résonance par rapport à notre époque, observe le 
Pr Philippe Raxhon, du département des sciences historiques. Le désir d’instauration du fédéralisme et de moins d’Etat central est mené par des Wallons. Le fer de lance du fédéralisme vient donc du sud du pays alors qu’aujourd’hui nous sommes dans une configuration où ce désir émane plutôt du Nord. »

Survenu dans un contexte où l’industrie lourde connaît ses dernières heures de gloire, le conflit a été révélateur des fortes tendances de la société belge comme le désir d’une participation accrue du mouvement ouvrier à la gestion économique et sociale de l’Etat, l’exigence de progrès social et de redistribution plus équitable des richesses. Ces espoirs s’accompagnent de craintes qui s’expriment dans la réaction décidée des masses populaires qui s’interrogent sur un avenir qui semble plombé par la perte de la colonie et par l’état déplorable des finances publiques.

Toujours dans les mémoires

Pour la Belgique, l’année 1960 reste donc un tournant historique. La grève générale a suscité une large attention au moment de son déroulement de la part des médias belges et étrangers, mais aussi de celle d’organisations d’autres pays européens voire plus lointains.

Du 9 au 11 décembre, plusieurs professeurs louvanistes organiseront à l’université de Liège un colloque international autour des grèves dont on célèbre cet hiver le 50e anniversaire. « Cette date commémorative est généralement porteuse, analyse Philippe Raxhon, qui ouvrira le colloque. A l’échelle d’un événement, c’est la phase de transition où les témoins acteurs des faits vont néanmoins disparaître. Par ailleurs, le recul acquis autorise une analyse historique en profondeur, alors qu’existe déjà une bonne connaissance de l’événement qui a développé ses effets et engendré ou non une mémoire. Ce dernier point est l’une des questions du colloque. » Durant trois journées, des personnalités issues d’univers variés questionneront la mémoire et s’interrogeront notamment sur le rôle des syndicats, des forces politiques ainsi que des médias au sein de cet événement qualifié d’emblématique en Wallonie.

Sébastien Varveris

Colloque “Grande Grève”
Du jeudi 9 au 11 décembre : à la salle du Théâtre universitaire royal de Liège, les 9 et 10 décembre, et à la salle académique, le 11.
Contacts : tél. 0497.29.79.01, courriel luc.courtois@uclouvain.be

Le film réalisé par Thierry Michel, Hiver 60, sorti en 1982, sera projeté le mardi 14 décembre au cinéma Le Parc, à 20h.